Littérature étrangère

Lisa Halliday

Asymétrie

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Chronique de Anne-Sophie Rouveloux

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Un seul roman, trois parties distinctes : un amour entre une jeune femme et un grand écrivain à New York, la longue attente d’un homme à l’aéroport et enfin, une interview musicale. Rien ne semble relier ces trois récits. Pourtant, dans ce premier roman ambitieux, les indices se cachent entre les lignes.

New York, début des années 2000. Alice, jeune assistante d’édition, lit sur un banc. Un homme s’assoit à côté d’elle. C’est Ezra Blazer, grand écrivain, qui a l’âge d’être son grand-père. Les deux commencent par se voir tous les dimanches. Puis ils entament une liaison malgré leurs différences. Tandis qu’Ezra achète une confiture à cent dollars, Alice se résout à aller aux urgences de Hell’s Kitchen après une mauvaise chute. Les années défilent, rythmées par les annonces successives des prix Nobel de Littérature. La santé de l’écrivain se dégrade mais pas leur relation. Les visites à l’hôpital sont de plus en plus nombreuses mais Alice est toujours là, amoureuse comme au premier jour. Aéroport de Londres, dans un monde post 11 septembre. Amar Jaafari est coincé à la douane pour un énième interrogatoire. Il souhaite rejoindre son frère en Irak mais, sans qu’il puisse se l’expliquer, le moindre prétexte est bon pour le passer sur le grill, encore et encore. Alors, Amar laisse son esprit vagabonder. Il se souvient de sa vie estudiantine. Il pense à l’Irak envahi par les troupes américaines, se remémore les premiers bombardements, les familles massacrées. C’est lorsqu’Amar rejoue le film de sa vie qu’un sentiment de déjà-vu apparaît progressivement. Cette citation sur l’artiste qui traverse sa propre expérience, nous l’avons déjà entendue dans la bouche d’un autre personnage. D’autres thèmes, d’autres phrases font écho avec la première partie consacrée à Alice et Ezra. Mais peut-être que l’indice le plus évident se trouve dans un nom qui a brillé par son absence. L’interview d’Ezra qui conclut Asymétrie s’impose comme une évidence. La boucle est bouclée, le roman à clé parfaitement maîtrisé. Mais il ne s’agit pas uniquement d’un jeu littéraire. L’amour d’Ezra et Alice nous touche profondément, les réminiscences d’Amar également. La forme fait sens. Si le titre renvoie bien sûr aux différences de classes entre les amants, l’asymétrie réside aussi dans ce peuple américain bien protégé tandis que les Irakiens meurent sous les bombes. Tout est écho, jeu de miroirs, pour dire et faire réfléchir le lecteur. Asymétrie est extrêmement dense dans ce qu’il relate et ce qu’il tait. Il s’agira alors de deviner quel auteur bien réel se cache derrière la figure d’Ezra. Belle surprise de cette rentrée, Asymétrie incarne ce que l’on attend de la littérature : elle doit innover, faire ressentir, faire réfléchir et laisser le lecteur libre d’interpréter à sa guise. £ Par Anne-Sophie Rouveloux Librairie Chroniques (Cachan)

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