Beaux livres

Jocelyn Bouraly

Villa Cavrois

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photo libraire

Chronique de Florence Reyre

Librairie Du côté de chez Gibert (Paris)

Dans notre métier de libraire, il nous arrive de découvrir des lieux magiques où sont utilisées des techniques insoupçonnées. À Paris, sous le viaduc des Arts, se trouve un de ces ateliers fascinants : en poussant la porte, on pénètre un monde complètement inédit, un monde de passionnés de la technique du gaufrage.

C’est à l’occasion de la parution du nouveau livre des éditions du Patrimoine dans la collection « Sensitinéraires » que j’ai découvert cette technique extrêmement élaborée, un mélange de tradition et de haute technologie. Lancée en 2006 et résultat d’une étroite collaboration avec l’atelier Créanog spécialisé en gaufrage, la collection « Sensitinéraires » compte aujourd’hui six titres. Il s’agit de faire comprendre à des non-voyants l’architecture d’un lieu. Chaque livre commence par une présentation globale du lieu pour arriver aux détails les plus précis, et permet d’apprécier, du bout des doigts, l’articulation d’un lieu, son échelle, mais aussi des détails de décoration, d’ornements. Le premier livre de la collection était consacré à la Sainte-Chapelle et a connu un beau succès. L’abbaye de Cluny, la cité de Carcassonne, le Panthéon, la tenture de l’Apocalypse d’Angers ont suivi. Les maîtres d’œuvre de la collection, Christian Bessigneul, graveur, et Laurent Nogues, gaufreur et maître d’art, ont reçu la récompense « Talents d’exception » du prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main, ce qui exprime bien la somme de travail pour arriver à ce merveilleux résultat. Autant livre d’art que livre pour public empêché, on est fasciné par la virtuosité mise en œuvre. Pour chaque planche, une matrice est gravée à la main. En utilisant une imprimante 3D, on peut aussi réaliser une contre-matrice en plâtre : le papier est glissé entre les deux et de la presse ressort une page parfaite. Rien n’est le fait du hasard. Le choix du papier, par exemple, nous emmène au Japon : seul le Pachica pouvait faire l’affaire. C’est un superbe papier épais, à l’origine utilisé pour la fabrication des cloisons des maisons traditionnelles. Son toucher est très doux et le gaufrage conserve ses arêtes même après de nombreuses manipulations. Le coffret reçoit l’ensemble des planches tactiles, un livret en couleur contrasté pour les mal-voyants, et un CD qui reprend les textes et les descriptions. Dans cette dernière parution dédiée à la Villa Cavrois, œuvre de l’architecte Robert Mallet-Stevens réalisée dans les années 1930, tout est conçu pour aider au mieux à la compréhension de ce magnifique bâtiment emblématique du XXe siècle qui a connu bien des vicissitudes. Totalement ruiné, il a bénéficié de dix ans de restauration qui lui ont rendu son lustre. Situé près de Lille, il n’attend plus que votre visite.