Littérature étrangère

Cinzia Leone

Vies dérobées

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Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

Jaffa, Istanbul, Djerba, Bâle, Rome, Miami, Tel Aviv. Entre 1936 et 1992, trois destins de femmes, liées les unes aux autres, nous happent par-delà les frontières, chacune aux prises avec les secousses de son époque.

Cinzia Leone, de sa plume vive, précise et ajourée, prend une belle place dans l’ample et chatoyant tissu de la littérature italienne. Tout commence dans la Palestine sous mandat britannique par une sauvage agression qui sera fatale à Avraham Azoulay et sa famille, eux qui avaient échappé au pogrom d’Odessa. C’est pendant cette terrible nuit que son associé turc, Ibrahim, usurpe son identité pour s’approprier ses relations d’affaires et fuir le pays avec sa femme et sa fille jusqu’en Tunisie où il apprendra à vivre et penser en juif. Cette imposture marquera profondément les générations suivantes. Miriam, Giuditta, Esther connaîtront leur part de coups du sort, de secrets, de ruptures, de guerre, de rafles, de luttes et d’élans amoureux. Leurs routes seront tortueuses et imprévisibles et répondront ainsi à la sagesse juive : « Ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, tu risquerais de ne jamais t’égarer ». En tressant ces destinées avec une finesse et une habileté redoutable, Cinzia Leone met en cause au plus profond la notion d’identité, ce bouclier fait d’une langue, d’une religion, d’un héritage génétique, d’une nationalité, à la fois rassurant et contraignant. Volontiers provocante, elle interroge le concept d’appartenance souvent générateur de violence et d’exclusion, tandis que ses personnages, acteurs de l’Histoire en marche, sont pétris d’identités multiples, changeantes, ambiguës car ancrées sur le sol mouvant du mensonge originel. Ode à la tolérance et au refus des carcans collectifs, le roman, vertigineux, porte un sentiment océanique d’appartenance au monde avant tout.

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