Littérature étrangère

Fiona McFarlane

L’Invité du soir

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Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

Un premier roman tendu sur le fil de l’inquiétante étrangeté. Avec maestria et sensibilité, l’Australienne Fiona McFarlane explore la démission de la raison en fin de vie et joue avec la peur universelle devant la mort.

C’est dans l’air du temps : si le roman de Fiona McFarlane s’inscrit bien dans la mouvance littéraire actuelle autour du thème de la vieillesse, il le fait sous un angle tout à fait singulier qui n’a rien de rassurant ni d’apaisant. Bien au contraire ! Dès les premières lignes, une angoisse diffuse vous saute à la gorge pour ne plus vous lâcher. Ruth, veuve de 75 ans, mène une vie contemplative en osmose avec la nature, ses chats et ses souvenirs, sur la côte des Nouvelles Galles du Sud. Sa maison isolée surplombe la plage où elle observe les surfeurs et les baleines à bosse qui croisent jusque dans la baie. Elle est réveillée une nuit par des frôlements, des halètements, des feulements : un tigre, elle en est sûre, traverse son salon. Elle est partagée entre le réalisme indubitable de ses sensations et l’incongruité de la scène. Autre surprise : le lendemain matin arrive sans prévenir une femme imposante et énergique qui dit être envoyée par le gouvernement pour l’aider dans ses tâches ménagères. Ses habitudes seront bousculées et son intimité menacée, d’autant que cette Frida – protectrice ou prédatrice ? – prend peu à peu possession de son intérieur. Mais Ruth trouvera aussi une certaine douceur dans leurs conversations. Elle lui confiera son enfance aux îles Fidji, ses parents missionnaires, ses fils partis au loin, son premier amour qu’elle invitera à venir la retrouver, cinquante ans plus tard. Pourtant, submergée par le poids du passé et l’incertitude d’un avenir, elle sent que le contrôle de sa vie lui échappe. Sa raison de plus en plus vacillante lui donne à voir une réalité déformée, tandis qu’elle perd peu à peu son autonomie physique. Un affaiblissement général accompagné d’un ressenti paradoxal : « ce sentiment lui rappelait quelque chose de vital, pas tout à fait la jeunesse mais plutôt l’urgence de la jeunesse, et elle avait du mal à y renoncer ». Fiona McFarlane réussit à, pour ainsi dire, ausculter de l’intérieur cet état hybride de la conscience qui pressent la fin de tout et qui, en même temps, s’accroche à la puissance des sensations. Une force sauvage peut-être associée à l’image onirique du fauve surgissant de plain-pied dans le réel. À moins que le tigre ne figure le messager de l’autre monde…

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