Littérature étrangère

Mike McCormack

D’os et de lumière

illustration

Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

D’une seule longue respiration, un homme prend conscience de sa pulsation intime au diapason de celle du monde. McCormack capte avec une acuité bouleversante ce que nous ressentons confusément. Attention, un immense auteur nous arrive du Comté de Mayo, Irlande !

À Louisburgh, village du Nord-Ouest de l’île, Marcus Conway, debout dans sa cuisine, écoute l’angélus du milieu de journée entre deux bulletins d’informations à la radio. C’est la vibration familière de la cloche qui va entraîner son esprit dans une course fragmentée, vertigineuse, à travers toutes les strates qui structurent l’existence, accompagnée de la sensation aiguë, presque animiste, de la place d’un individu dans l’univers : un son « qui résonne encore dans ma tête, une seule note qui retentit dans la clarté du jour comme si le monde entier y était suspendu, montagnes, rivières et lacs, passé, présent et avenir ». Dès lors, le récit prend l’allure d’un tour de force. Une seule phrase, articulée par des décrochements, des ricochets, navigue entre les souvenirs. Ceux d’une enfance, à la ferme où son père, veuf, désespéré, se cadenasse en choisissant de finir seul avec son chien. Ceux de sa vie de couple si douce avec Mairead et leurs deux enfants – un garçon parti au bout du monde et une fille artiste (effroi quand il prend conscience, lors d’un vernissage, qu’Agnès peint avec son propre sang, « une houle d’écritures rouges déferlant dans toute la galerie »). Dans « une complète vacuité de l’esprit », il porte son regard sur les frustrations de son métier. Il est ingénieur en travaux publics, constructeur de ponts, pris entre les hommes politiques et les promoteurs. Les incompétences des petits pouvoirs locaux causent une catastrophe écologique dont Mairead sera une des nombreuses victimes intoxiquées par l’eau, la source même de la vie. Les sens en alerte, angoissé par une extrême lucidité, Marcus est traversé par une évidence, celle de l’appartenance au grand mouvement universel. La proximité de la mer, les souvenirs de pêche avec son père lui apportent cette révélation : « c’est (…) assis à la poupe du currach, à traîner les lignes à maquereaux et à lieux jaunes, à observer la terre s’éloigner, que je pris conscience du monde dans toute sa grandeur ». Le ressenti organique des fluides qui passent dans son corps, les frémissements infimes de sa maison, participent ainsi à la marche du monde. « Une tension fébrile me cisaille (…), mon esprit grouille d’idées comme s’il était rempli d’oiseaux électriques, toujours en vol, des frissons bleus ». Par sa verve tellement hyperréaliste qu’elle frôle parfois le fantastique, sa virtuosité, son humour désenchanté, son sens de l’absurde, l’audace de la construction, la fulgurance des images poétiques, la force du détail inattendu, Mike McCormack s’inscrit tout naturellement dans la riche filiation des auteurs irlandais majeurs.

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