Littérature étrangère

Gerbrand Bakker

Parce que les fleurs sont blanches

illustration

Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

Pourquoi un enfant accepterait-il de vivre les yeux fermés ? Troublante question posée par un auteur néerlandais majeur qui nous bouleverse à nouveau par la ligne claire de sa sensibilité pour dire l’apprentissage du noir.

La découverte d’un écrivain comme Gerbrand Bakker marque les mémoires. L’émotion ressentie à la lecture de Là-haut tout est calme et du Détour (Folio) est intacte. Dans ses romans, la nature, une campagne hollandaise quadrillée de canaux, résonne du silence d’êtres blessés et de leur solitude sous de grands ciels pâles. Ici, un père, Gerard, élève ses trois fils, deux jumeaux adolescents Klaas et Kees et leur petit frère Gerson, sans oublier le chien Daan, et la présence réconfortante des grands-parents. La mère les a quittés sans explication. Elle vit quelque part en Italie et envoie juste une carte à Noël et aux anniversaires. La blessure est encore vive mais tous tentent de jouer une pantomime du bonheur. Un beau dimanche de printemps, le drame survient. L’accident, une sortie de route dans un verger de poiriers en fleurs. Ils sont indemnes sauf Gerson qui restera aveugle. Dès lors, ses frères n’auront de cesse de lui redonner goût à la vie, non sans une certaine culpabilité. Ils avaient inventé un jeu nommé « noir », un genre de colin-maillard, où ils s’entraînaient tous les trois, depuis leur enfance, à parcourir le jardin les yeux fermés, et plus loin, jusqu’au vieux cimetière. Après la révélation de son infirmité, Gerson se rebelle et refuse la fatalité. C’est avec l’infinie délicatesse que nous lui connaissons que Gerbrand Bakker, en se plaçant du point de vue des jumeaux, thème récurrent dans son œuvre, rend compte de ce surcroît de douleur dans une famille masculine déjà minée par l’abandon. La voix des jeunes gens résonne sans effets, au plus près de leurs sensations. Écartelés qu’ils sont entre la cruauté des épreuves qui les frappent et la foi de leur jeunesse dans l’avenir où ils vont se projeter, quoi qu’il arrive.

Les autres chroniques du libraire