Bande dessinée

Joe Sacco

La Grande Guerre

illustration

Chronique de Guillaume Boutreux

Librairie M'Lire (Laval)

Avec La Grande guerre, Joe Sacco, l’un des auteurs de bandes dessinées américains les plus importants de sa génération, nous offre un point de vue exceptionnel et saisissant sur l’épisode le plus sanglant de l’histoire de l’armée britannique, la bataille de la Somme.

 

On connaît Joe Sacco notamment pour ses bandes dessinées de reportage autour des conflits du XXe siècle. Pour la première fois, un auteur se comporte exactement comme un journaliste d’investigation, tout en adoptant la BD pour support. Le travail qu’il a effectué sur le conflit dans l’ancienne Yougoslavie avec Gorazde, The Fixer, Derniers jours de guerre et Soba (Rackham) est devenu une référence, tout comme son implication autour du bourbier israélo-palestinien avec Palestine (Rackham) et Gaza 1956 (Futuropolis). Plus récemment, Joe Sacco s’est également engagé sur le terrain du conflit social et des méfaits du capitalisme effréné avec Jours de destruction, jours de révolte (Futuropolis). On a pu suivre aussi ses reportages dans la revue XXI.
Dans ces bandes dessinées, les témoignages recueillis et les portraits des protagonistes des événements qu’il couvre sont à la fois très précis et très émouvants par l’humanité qu’ils dégagent. Son dessin, la plupart du temps en noir et blanc, se caractérise par le souci du détail qui apporte une grande crédibilité à son propos. Pour Joe Sacco, ce qui compte, ce qui permet de comprendre l’Histoire, ce sont les petites histoires, ce sont les hommes et les femmes qui sont impliqués – plus ou moins malgré eux – dans les événements, et non un résumé froid et détaillé du contexte seul.
Avec La Grande Guerre, sous-titré Premier jour de la bataille de la Somme, Joe Sacco sort de son cadre habituel. Le sujet en lui-même l’empêche de procéder comme il l’a toujours fait : en collectant des témoignages directs. Dès lors, celui-ci choisit de sortir la bande dessinée elle-même de son cadre classique. En ce sens, à partir d’un travail de documentation titanesque, il réalise une fresque de sept mètres de long sur laquelle il détaille l’inéluctable déroulement de cette infernale journée du 1er juillet 1916, une sorte de tapisserie de Bayeux sur l’horreur industrielle de la guerre. Tout y est relaté avec une précision angoissante. Le matin, le général britannique Douglas Haig (que l’on surnommera « Le Boucher de la Somme ») apparaît bien à l’abri dans son quartier général. Puis sont dépeints l’arrivée des troupes, l’acheminement des munitions, l’installation des pièces d’artillerie, le déploiement des hommes dans les tranchées, puis la nuit s’étend sur le no man’s land… et commence le massacre au shrapnel et à l’obus. À l’arrière, les plus « chanceux » sont allongés sur des brancards, les autres à même le sol… avant la fosse commune. Dans ce panorama apocalyptique, seul le général du carnage est identifiable et reconnaissable. Tous les autres sont anonymes, leur humanité broyée par l’impitoyable machine à cadavres.
Avec cette œuvre hors normes, Joe Sacco montre un sens aigu de la narration et confirme son statut d’auteur essentiel, témoin privilégié du monde contemporain et de son histoire récente.

\"\"\"\"