Littérature étrangère

Benedict Wells

Pour ne pas vivre seul

photo libraire

L'entretien par Marie-Lys De Cerval

Librairie Idéale (Paris)

Véritable condensé d’émotions, La Fin de la solitude est de ces livres qui laissent un souvenir indélébile. Les personnages s’ancrent en nous tant leurs questionnements sont les nôtres : la passion, la fratrie, la transmission, la mort. Un magnifique roman, d’une ampleur extraordinaire. Envoûtant et libérateur.

Pour Jules, Liz et Marty, la magie de l'enfance est brisée trop brutalement lorsque leurs parents meurent dans un accident de voiture. Eux qui coulaient des jours heureux, choyés et insouciants, sont placés dans un pensionnat. C'est ainsi qu'ils perdent tous leurs repères. Commence alors un long cheminement pour grandir en luttant contre le sentiment de solitude qui les habite. Le héros, prisonnier de ses souvenirs, ressasse son bonheur passé. Jusqu'au fameux jour où il rencontre une mystérieuse jeune fille nommée Alva. Le voilà habité par un trouble nouveau : la découverte de l'amour fou. Au fil des années, ils se croisent, s'éloignent, se retrouvent; créant de cette manière un lien unique et hors du commun. Une écriture solaire, intense, qui captive et qui saisit le lecteur dès les premières lignes. On redoute la fin du roman, tant il est difficile de dire au revoir aux personnages de cette fascinante histoire.

 

PAGE — La Fin de la solitude est un titre poétique et énigmatique. Est-ce un choix qui est venu naturellement ?
Benedict Wells — Le titre en allemand est légèrement différent, la traduction littérale serait « À propos de la fin de la solitude » parce que je suis persuadé qu’il n’y a pas de fin de la solitude du tout. On peut seulement l’appréhender, en parler. J’ai choisi d’appeler mon livre ainsi car la solitude est mon sujet de prédilection. Ce qui m’intéresse est comment on vit avec et, surtout, comment on la surmonte.

P. — En vous lisant, on a la sensation qu’on ne connaît jamais vraiment les gens, encore moins les êtres qui nous sont le plus cher. Chaque personnage garde sa part de mystère.
B. W. — Exactement. J’ai voulu donner à chacun des personnages un côté insaisissable. Celle qui est représentative de cette volonté est évidemment Alva. Des périodes de sa vie restent des zones d’ombre, nous ignorons certains détails de sa vie passée. Moi-même, j’ai eu du mal à la cerner, j’ai mis près de cinq ans à la comprendre. Elle refusait de se livrer à moi totalement ; d’ailleurs, certains aspects de sa personnalité m’échappent encore ! Tout être humain a des secrets qui le constituent et qui influencent son rapport aux autres et sa relation au monde.

P. — On retrouve tout au long du roman l’idée que la vie peut basculer d’un instant à l’autre. Pourquoi cette obsession ?
B. W. — Ce n’est pas qu’un sujet de roman, c’est quelque chose qui arrive fréquemment dans la vie de tous les jours et que j’observe dans la réalité autour de moi. Parfois vous réalisez que ce qui vous est arrivé il y vingt ans, même des petites choses, ont encore des répercussions dans votre vie d’aujourd’hui et c’est cela que j’ai eu à cœur de retranscrire.

P. — Votre livre traite du passage à l’âge adulte, de la construction de l’identité. Il connaît un franc succès auprès d’un public adolescent. Vous attendiez-vous à cet engouement ?
B. W. — Non, au contraire. Je pensais que ça ennuierait un lectorat de jeunes adultes. J’étais persuadé que pour être touché par ce livre, il fallait avoir déjà eu affaire aux difficultés, à la perte, à la solitude, aux blessures de la vie. Hier, à une conférence avec des lycéens, j’ai été très surpris de leur réaction, de leur enthousiasme. C’était une erreur de ma part de penser que ça ne les toucherait pas, qu’ils ne se sentiraient pas concernés. Il s’avère qu’ils sont sensibles très tôt aux épreuves que l’existence peut réserver.

P. — Les allusions à la mémoire sont omniprésentes dans le roman. Le rapport au temps et aux souvenirs façonne la personnalité de Jules Jules. Est-ce un thème qui vous fascine ?
B. W. — Oui, absolument. Les souvenirs ont une influence permanente sur notre quotidien, sur notre présent. J’en ai pris conscience en lisant Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro. Le personnage principal féminin écoute en secret une cassette. La chanson lui provoque alors une réminiscence fulgurante ; les images du passé affleurent. Ce passage m’a littéralement subjugué. Si je n’avais pas lu cet auteur, je n’aurais sûrement pas écrit ce roman.

P. — Justement, avez-vous été influencé par certains écrivains, certaines œuvres ?
B. W. — Définitivement Ishiguro et j’étais très heureux quand il a gagné le prix Nobel, j’en étais presque à sauter de joie ! J’ai une profonde admiration pour John Irving que j’ai découvert quand j’avais quinze ans. Il m’a ouvert la voie de la littérature. C’est en lisant Le Monde selon Garp que, pour la première fois, je me suis pris à rêver de devenir écrivain. Michael Chabon est aussi un de mes autres héros, j’ai lu tous ses livres. Ses ouvrages représentent énormément pour moi, sa façon si particulière d’écrire a été très inspirante. Je me sens également proche de l’univers de Scott Fitzgerald et de Carson McCullers. Tous ses romans sont incroyables, elle fait preuve d’une empathie extraordinaire pour ses personnages.

P. — Jules, Marty, et Liz passent leurs vacances en France, écoutent même les chansons de Gilbert Bécaud. Vous semblez entretenir un lien spécial avec ce pays.
B. W. — Je suis francophile et je ressens une forte connexion avec la France. Malheureusement, je n’ai jamais réussi à maîtriser parfaitement sa langue mais ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Je suis très influencé par la culture française : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Stendhal, Honoré de Balzac et Gustave Flaubert, bien sûr !