Littérature étrangère
Elif Shafak
Les Fleuves du ciel

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Elif Shafak
Les Fleuves du ciel
Traduit de l'anglais par Dominique Goy-Blanquet
Flammarion
20/08/2025
512 pages, 24 €
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Chronique de
Katia Leduc
Librairie L'Embarcadère (Saint-Nazaire) - ❤ Lu et conseillé par 29 libraire(s)

✒ Katia Leduc
(Librairie L'Embarcadère, Saint-Nazaire)
La romancière britannique Elif Shafak, que l’on connaît également pour La Bâtarde d’Istanbul et Soufi mon amour, publie en cette rentrée un roman grandiose ! Elle s’amuse à jouer avec les temporalités pour composer un ensemble d’une justesse remarquable sur l’impétuosité de l’eau et des peuples qui la traverse depuis des siècles.
En 1840, au bord de la Tamise, naît Arthur, surnommé Roi Arthur des égouts et des taudis, au sein d’une communauté de ferrailleurs. Issu d’un milieu excessivement modeste, il se distingue par une mémoire infaillible couplée à une curiosité insatiable et des capacités intellectuelles hors normes. Lors d’une visite au British Museum, il va découvrir les lamassus, statues gigantesques et reliques du palais du roi Assurbanipal de l’antique cité de Ninive près du fleuve Tigre. Arthur tombe en admiration devant la civilisation assyrienne et va profiter de son emploi de grouillot dans une imprimerie pour approfondir ses connaissances, avant de connaître un destin d’exception. En 2014, en Turquie, près du fleuve Tigre, vivent Naryn, 9 ans, atteinte de surdité partielle, et sa grand-mère Besma. Issues de la communauté yézidie, elles entreprennent un long voyage pour baptiser la fillette dans la vallée de Lalesh, en Irak. Naryn est la descendante de grandes devineresses et apprend auprès de sa grand-mère les histoires et autres légendes de son peuple. Cette ethnie souffre depuis des millénaires d’une mauvaise réputation : d’aucuns les perçoivent comme « les adorateurs du diable ». La guerre se profile et une nouvelle épreuve terrifiante et destructrice se prépare. Zaleekhah est le troisième personnage phare de ce roman. Hydrologue, cette jeune trentenaire tout juste séparée s’installe, en cette année 2018, dans une péniche sur la Tamise. En proie à un profond mal-être qu’elle peine à s’expliquer, elle partage sa vie entre ses travaux scientifiques et une relation tumultueuse auprès de son oncle qui l’a recueillie à la mort de ses parents. Ses recherches portent sur la mémoire de l’eau et s’attirent les moqueries voire les foudres de la communauté des chercheurs qui considèrent ses travaux comme hérétiques. Elif Shafak est une conteuse hors pair et son écriture poétique un enchantement ! Sa maîtrise des intrigues est tout simplement stupéfiante : les trois périodes évoquées s’imbriquent parfaitement, sans nous perdre un seul instant. Au-delà du romanesque, Les Fleuves du ciel est un roman d’apprentissage, de transmission où la philosophie et la spiritualité affleurent tout au long du texte. Chaque personnage évolue dans les eaux tumultueuses du passé mais le regard toujours fixé sur la vénérable Ninive. Une œuvre poignante et émouvante que l’on peine à quitter, incarnée par des protagonistes que l’on n’oublie pas de sitôt. Une seule goutte de pluie pour une traversée des millénaires éblouissante !