Littérature étrangère

Susan Taubes

Vies et Morts de Sophie Blind

✒ Linda Pommereul

(Librairie Doucet, Le Mans)

Vies et Morts de Sophie Blind est l’histoire d’un mariage défaillant mais surtout la révélation d’une conscience. Un livre en mouvement, non dénué d’humour, où l’écriture est un pont entre les vivants et les morts.

Vies et Morts de Sophie Blind de Susan Taubes paraît aux éditions Rivages. Un texte édité pour la première fois en 1969 et qui tombera dans l’oubli après le suicide de l’autrice, quelques jours après la publication d’une critique acérée. Publié de nouveau en 2020, il est désormais considéré comme un chef-d’œuvre, figure parmi une sélection de grands romans à redécouvrir et est enfin traduit en français par la talentueuse Jakuta Alikavazovic. Susan Taubes est née en 1928. Fille de psychanalyste et petite-fille de rabbin, elle émigre aux États-Unis avec son père et se marie avec Jacob Taubes, sociologue de la religion. Même si les critiques n’ont pas reconnu son talent et sa prose avant-gardiste, Susan Taubes est brillante. Elle écrit une thèse sur Simone Weil avant d’enseigner à l’université de Columbia. Pourtant, elle est morte blessée par un milieu intellectuel façonné par les hommes, tuée d’une certaine manière par la misogynie d’une époque. Son œuvre joue avec la forme romanesque, elle ne plaît pas. Elle propose un style trop novateur, audacieux où elle explore les recoins de la conscience féminine. Dans cette fiction, Susan Taubes raconte son divorce. Ou plutôt celui de sa narratrice. Fragmentaire, décomposé, parfois hallucinatoire, ce récit témoigne d’une fracture entre la narratrice et l’autrice qui sème des éléments autobiographiques dans un flux de pensées qui parfois semblent incohérents. Mais peu importe : par ce projet, elle tente de restaurer une vérité primitive, une conscience de soi. L’écriture de Susan Taubes nous prend en tenaille, exerce une pression permanente comme pour nous dire : « ce livre je l’ai écrit, maintenant il est entre vos mains. Vous n’avez rien compris, je vous quitte. » Un demi-siècle plus tard, elle renaît de ses cendres et, je le l’espère, pour l’éternité.

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