Jeunesse

Judith Kerr

Quand Hitler s’empara du lapin rose

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photo libraire

Chronique de Gwendal Oulés

Librairie Récréalivres (Le Mans)

Après la publication de trois albums (la série des Mog et le délicieux Le Tigre qui s’invita pour le thé), Albin Michel Jeunesse continue de nous faire redécouvrir l’œuvre de l’auteure et illustratrice Judith Kerr.

C’est cette fois avec son plus célèbre roman que l’éditeur choisit d’éclairer la vie et le destin singulier de cette artiste britannique d’origine allemande. Quand Hitler s’empara du lapin rose fait figure de classique de la littérature anglaise bien au-delà du domaine de la jeunesse. Albin Michel Jeunesse reprend ici la première traduction de Boris Moissard pour L’École des Loisirs publiée en 1985. Ce roman largement autobiographique raconte la fuite d’une famille juive allemande à la veille de la victoire aux élections du parti nazi. Anna a neuf ans. C’est la fille d’un intellectuel influent qui réussit à faire éviter à sa famille un destin probablement funeste. Leur périple va les mener de la Suisse jusqu’en Angleterre en passant par la France. L’originalité du récit tient du point de vue adopté qui est principalement celui de la jeune fille avide de comprendre le monde complexe qui l’entoure, portée par ses qualités créatives. Le bonheur est présent malgré tout mais la guerre est rendue dans un « hors champ » d’autant plus terrible qu’il se construit aussi dans l’imaginaire parfois naïf d’Anna, alter-ego de Judith Kerr. La sérénité du regard posé sur cette famille très soudée et le refus du spectaculaire confèrent à l’histoire un caractère délicatement désuet. Et pourtant, la reparution de Quand Hitler s’empara du lapin rose (titre parfait qui résume l’esprit du roman et son point de vue) dépasse aujourd’hui largement sa dimension patrimoniale. Comment ne pas lire cette traversée de l’Europe en guerre avec en tête ses résonances avec notre actualité : le terrible sort des enfants migrants fuyant avec leurs familles pour une vie meilleure. Cet à-propos est sans doute une façon de rendre sa contemporanéité à un texte touchant.

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