Littérature étrangère

Karen Joy Fowler

Lincoln Tragédie

✒ Victoire Vidal-Vivier

(Librairie La Bouillotte, Saint-Jean-en-Royans)

Si Lincoln Tragédie raconte l’histoire de l’homme qui assassina Abraham Lincoln en 1865, c’est surtout un grand roman américain qui dépeint l’histoire d’une famille enchevêtrée à celle, complexe, des États-Unis.

Junius Brutus Booth est certes un personnage de roman mais il était également un acteur de théâtre anglais bien connu dans la première moitié du XIXe siècle. Très talentueux, spécialiste de Shakespeare, c’était aussi un homme imprévisible et alcoolique qui quittera l’Angleterre, sa femme et son fils, avec sa maîtresse pour s’installer dans une ferme du Marylebone où le couple aura plus tard dix enfants. Nous sommes donc aux États-Unis dans les années 1830. La famille Booth est progressiste mais l’esclavage existe encore et commence à diviser. Les enfants Booth grandissent dans la semi-pauvreté, apprenant le dur travail de la ferme avec leur mère. Leur père, de son côté, voyage pour jouer Shakespeare un peu partout, leur envoyant de longues lettres et parfois l’argent qu’il n’a pas dépensé en boisson. Le décor est planté pour ce très beau roman qui traverse le XIXe siècle à travers la vie d’une famille. Deux des enfants Booth vont suivre les pas de leur père au théâtre : Edwin et John Wilkes, né en 1838, parmi les plus jeunes enfants du couple. Mais ce n’est pas pour son jeu d’acteur que John Wilkes laissera vraiment une trace, puisque, avance rapide, ce sera lui qui assassinera Abraham Lincoln en 1865 quand la guerre de Sécession fera rage. À travers le prisme d’une famille hors normes, ce roman riche et dense est en fait une immense peinture de la société américaine de l’époque, retraçant l’arrivée progressive d’un conflit qui durera quatre ans, divisera profondément la population et marquera un tournant de l’histoire des États-Unis. Extrêmement bien écrit et documenté, c’est un texte d’une grande profondeur qui se lit avec délectation, autant pour la fine analyse psychologique que l’autrice fait de ses personnages que pour le message politique qu’elle délivre à travers eux.

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