Littérature étrangère

Karla Suárez

Objets perdus

✒ Marguerite Martin

(Librairie Terre des livres, Lyon)

Karla Suárez est décidément parmi les grandes voix de la littérature cubaine avec ce roman profond et tendre où il fait bon cheminer sur les cimes qui surplombent d’un côté la déroute et de l’autre l’espoir.

Les récentes disputes ont jeté un froid dans l’habitacle de la voiture du couple lorsque survient un incident sans gravité : un pneu crevé et le sac à main de Giselle volé. Sans prendre le temps de réfléchir, Giselle court à travers les rues de Barcelone à la poursuite de son sac, du voleur, oubliant qu’elle ignore tout de cette ville. Elle n’a sur elle aucun papier, pas de téléphone ni même ses bracelets talismans. Giselle court pourtant, prenant le risque de se perdre. Ne reste au fond de ses poches que cinq euros et le portefeuille égaré d’un touriste français, Bernard, contenant une photographie et une lettre. Giselle tourne (et danse) dans Barcelone, pas effrayée, rompue à la survie, pour tenter de retrouver son vieil ami Raviel qui vit près de la Sagrada familia. Au fil de ces quatre journées, son obsession pour la résolution de l’énigme que représente le portefeuille du français et ses souvenirs liés à chacun de ses bracelets vont se mêler et révéler ses tourments. Elle scande souvent une phrase-mantra (« Quand tu danses, le monde disparaît »). Elle fut ainsi prête à tout pour embrasser cette passion à laquelle n’adhéraient pas ses parents. L’adoration qu’ils portaient à sa petite sœur Clarita et le combat mené pour suivre son rêve peuplent ses pensées d’errance barcelonaise. Dans un style simple, dépourvu d’artifices et pourtant hypnotique, Karla Suárez partage les conflits intérieurs d’un personnage au seuil d’un basculement, dont les doutes se cristallisent à la perte de ses objets. L’énigme se retourne subtilement et Giselle trouve seule comment sortir de l’impasse. Rien de spectaculaire ici mais une étonnante justesse de ton qui suscite un lien immédiat entre Giselle et le lecteur qui ne peut que saluer la force, l’humour et la profonde humanité d’un personnage qu’il peine à laisser partir.

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