Essais

Beata Umubyeyi Mairesse

Le Convoi

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Chronique de Marguerite Martin

Librairie Terre des livres (Lyon)

C’est à ses fils et à l’avenir que la Franco-Rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse dédie Le Convoi, reconstitution minutieuse d’une quête de traces, images, films, auprès des journalistes et humanitaires qui ont rendu possible son sauvetage. L’autrice y chemine jusqu’à sa place de survivante du dernier génocide du XXe siècle.

Beata Umubyeyi Mairesse est née au Rwanda en 1979. Elle arrive en France en 1994 après avoir survécu au génocide dont ont été victimes au moins 800 000 Tutsi. Elle publie des fictions dont ce génocide est le thème central : en 2015 et 2017, Ejo et Lézardes, deux recueils de nouvelles ; son premier roman, en 2019, Tous Tes Enfants dispersés reçoit le prix des Cinq continents de la Francophonie puis son second, Consolée, en 2022, le prix Kourouma 2023. Les faits sont décrits avec sobriété. Elle a fui le 18 juin 1994 grâce à un convoi de l’organisation humanitaire suisse Terre des Hommes, réservé aux enfants, dans lequel elle et sa mère ont pu se cacher. Elle a été vue dans un reportage de la BBC qui suivait et filmait ce convoi. En 2007, elle contacte l’équipe de télévision pour tenter de récupérer ce film. Elle ne l’obtient pas mais reçoit d’un des journalistes quatre photos sur lesquelles elle n'apparaît pas et dont elle ne sait que faire. En 2020, elle retrouve l’humanitaire qui a organisé ce convoi. Il décède quatre mois plus tard et elle quitte alors ce qu’elle nomme « le confort de la fiction ». Elle qui se refusait à « faire littérature » cède à cette nécessité, consciente que « le récit pur ne permet pas de rendre compte de ce que le temps fait au passé ». L’apparition des images, ces traces essentielles, la pousse à retrouver celles et ceux sauvés avec elle. Puis son témoignage auprès de lycéens déclenche l’écriture, dans un train. Elle documente tout ce qui touche à Terre des hommes et son sauvetage. Son récit n’est ni journalistique, ni cathartique. Son expérience de formatrice en santé mentale dans l’humanitaire éloigne sa plume de toute colère. Selon elle, survivre à la survie et « tisser de nouveau un rapport de confiance au monde » est possible : cette conviction insuffle au texte une force inouïe. Où que se pose son regard, il reste bienveillant. Beata Umubyeyi Mairesse retrace scrupuleusement l’histoire des trois mois de génocide et déconstruit la vision occidentale colonialiste de son pays. Son récit recentre ce regard sur le passé, avec intelligence et nuance. Les récits de survivants de la Shoah lui ont appris que « notre expérience était moins indicible qu’inaudible ». Et c’est pour donner voix à tous ceux qu’elle a interrogés qu’elle témoigne de cette histoire centrale du convoi. En y ajoutant leurs histoires individuelles, elle parvient à se situer au sein de la communauté des survivants. Naviguant entre recherches consignées, écriture de soi et essai, elle questionne avec finesse les liens entre mémoire, archivage, témoignage et produit une œuvre nécessaire et de toute beauté.