Littérature étrangère

Fernando Aramburu

Patria

illustration

Chronique de Marie-Laure Turoche

()

Véritable phénomène littéraire, Patria a enflammé l’Espagne et, bientôt, fera de même avec la France. Ce pavé de 600 pages décrit les années ETA à travers deux familles et un village. On parle de « catharsis à la basque », de « Guerre et Paix basque ». Mais s’il s’agissait surtout de pardon ?

Pendant cinquante ans, l’ETA a paralysé et divisé le Pays basque. En 2011, l’organisation a définitivement déposé les armes. Avec son roman Patria, Fernando Aramburu a ravivé des souvenirs douloureux et provoqué de nombreux débats. Il semblerait que tout Basque ait une opinion sur ce livre. Les familles de victimes y voient une reconnaissance, quant aux séparatistes, ils accusent l’auteur d’avoir une vision trop manichéenne. Si ce roman fait autant parler, c’est qu’il était nécessaire. Fernando Aramburu indique clairement sa volonté de dénoncer. Il ne faut pas taire ces années, au contraire, il faut exorciser le passé : « Je souhaite que les générations à venir sachent ce qui s’est passé, et qu’elles le sachent à partir de versions qui ne blanchissent pas l’Histoire. Avec mon roman, j’ai voulu contribuer à la défaite culturelle d’ETA.» Fernando Aramburu a choisi de raconter l’ETA a travers deux familles et un village. Deux familles amies qui vont se déchirer à cause de l’organisation. Le fils de l’une d’entre elles deviendra membre de l’ETA et le père de l’autre famille sera tué pour avoir refusé de payer l’impôt révolutionnaire. Au-delà de l’arrière plan historique extrêmement référencé, ce qui fait la puissance du roman, ce sont ses personnages. Tout d’abord, les deux mères de famille : Bittori et Miren. Chacune possède un fort tempérament et chacune est prête à tout pour protéger sa famille. Des amies, des confidentes… Des années plus tard, l’une considérera l’autre comme une « folle ». Les hommes sont plus pudiques, plus lâches aussi d’une certaine manière. Ils préfèreront s’éviter plutôt que se dire les choses. Les hommes sont vraiment très émouvants dans ce livre. Je pense aussi aux fils : celui de Bittori, médecin, qui ne réussit pas à vivre sa vie et les deux garçons de Miren, deux frères que tout oppose. L’aîné qui épouse la cause de l’ETA et le cadet qui préfère défendre sa culture basque à travers les livres et la poésie. Comment ne pas voir l’auteur lui-même derrière ce personnage ? Enfin, les deux filles coincées entre leur famille et leur volonté d’émancipation. Arantxa, la fille de Miren, femme bouleversante qui deviendra prisonnière de son propre corps. La relation de couple est aussi une thématique importante du roman. L’auteur décortique les tensions de la vie quotidienne, le caractère de chacun, ce qui agace ou attriste. Les commentaires mesquins dans le lit conjugal après avoir rencontré une belle-fille ; cette façon que l’on a de se taire pour éviter le conflit. Et soudainement, apparaît une habitude simple mais remplie d’amour, celui d’un mari qui réchauffe la place de sa femme en attendant qu’elle vienne se coucher. Et soudainement, une mère renie ses opinions pour assister au mariage de son enfant. Le lecteur alterne entre les différents membres de ces deux familles qui tour à tour s’aiment, se détestent, s’observent, se rapprochent. Le véritable enjeu est bien sûr le pardon : le pardon de Bittori mais surtout le pardon du peuple espagnol.

Les autres chroniques du libraire