Littérature étrangère

Donna Tartt

Le Chardonneret

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Chronique de Marie-Laure Turoche

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C’est l’événement de la rentrée littéraire de janvier : le Donna Tartt nouveau est enfin publié ! Les lecteurs ont dû patienter pendant dix ans, mais cela en valait la peine. Le Chardonneret est un magnifique pavé de presque 800 pages, que l’on commence avec avidité et finit avec regret.

Commençons par le commencement. Le Chardonneret, avant d’être le titre du nouveau roman de Donna Tartt, est d’abord un tableau datant de 1654 d’un dénommé Fabritius. Ce dernier aurait péri tragiquement dans son atelier lors de l’explosion de la poudrière de Delft, aux Pays-Bas. Théo, le héros du livre, va vivre une tragédie assez similaire. À l’âge de 13 ans, il perd sa mère lors d’un attentat au Métropolitan Museum. Attiré par une jolie rousse, il laisse sa mère s’éloigner afin d’aller lui parler. C’est alors qu’une bombe éclate. Tandis qu’il ère dans les décombres de la salle 32, le vieil homme qui accompagnait la jeune fille l’appelle. Il lui confie une bague et le prie d’aller la rendre à un certain Hobbie qui possède un magasin d’antiquités à Greenwich Village. Il lui fait également une autre demande : sauver ce petit tableau qu’ils admiraient juste avant l’explosion. Sans trop réfléchir, Théo quitte le musée avec la toile sous le bras et la ramène chez lui. Plus tard, il réalise la gravité de son acte mais ne peut se résoudre à la rendre. Après le décès brutal de sa mère, Théo se retrouve seul, son père les ayant quittés quelque temps auparavant. Il est accueilli par les parents de son ami d’enfance, les Barbour, qui font partie de la riche société new-yorkaise. Alors qu’il tente de se reconstruire, Théo décide de restituer la bague à ce fameux Hobbie. C’est une autre famille qu’il trouve là-bas, ainsi qu’une passion, la restauration de meubles anciens. Soudain, l’élément perturbateur, ce père qu’on n’attendait plus, surgit pour récupérer son fils. Théo doit quitter New York pour Las Vegas. À l’image de cette ville, Théo se perd dans un monde artificiel de drogues et d’alcool, influencé par son nouvel ami Boris. Celui-ci est un personnage haut en couleur et je dois bien avouer que j’en suis tombée amoureuse ! Ukrainien d’origine, Boris est un écorché vif qui vit et parle à toute vitesse. À seulement 14 ans, il a vécu partout et plus rien ne l’effraie. Mystérieux et attachant, on le suivrait au bout du monde et même jusqu’en enfer. Le tableau de Fabritius est ce qu’on appelle un trompe l’œil. Donna Tartt a évidemment choisi ce tableau pour sa symbolique. Les personnages de son roman ne sont jamais ce qu’ils semblent être et le lecteur se retrouve généralement floué. Pour citer mon cher Boris : « les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être, toutes blanches ou toutes noires. » Il continue avec un formidable argumentaire à propos de L’Idiot de Dostoïevski, dans lequel il démontre que nos mauvaises actions n’engendrent pas forcément le mal, et réciproquement. Que cherche à nous démontrer Donna Tartt ? Que nous sommes prisonniers de notre destin ? Prisonniers de nos actes ? Le lecteur en tirera sa propre conclusion. Mais au-delà de la réflexion philosophique, Le Chardonneret est surtout un roman époustouflant, palpitant et souvent émouvant. Du parcours initiatique, on passe au thriller sur fond de trafic d’art. Donna Tartt confirme son immense talent ! Rendez-vous dans dix ans !

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