Littérature française

Alice Ferney

Cherchez la femme

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photo libraire

Chronique de Aurélia Magalhaes

Bibliothèque/Médiathèque Jean Cocteau (Massy)

Des plus belles histoires d’amour peuvent naître les plus grands désastres. L’odyssée des Korol en est un excellent exemple. Avec le talent qu’on lui connaît, Alice Ferney tient la chronique d’une famille dont les membres malheureux ne cesseront de malmener l’objet de leur amour. Quitte à tout perdre.

Quand il rencontre Nina, Vladimir tombe fou amoureux. Il est séduit tant par la fraîcheur insolente de la jeune fille que par la faille qu’il sent en elle. Leurs blessures intérieures se font écho sans que ni l’un ni l’autre n’en parle, et il n’en faut pas plus pour que leur destin soit scellé. De ce couple maudit naissent deux garçons qui seront les joyaux de leurs parents. Si la vie familiale se compose d’échappées lumineuses, elle est aussi marquée par des moments de violence intense : le désarroi de Vladimir devant les colères de Nina. Cette toute jeune femme ne sait même pas pourquoi elle crie, inconsciente du vide intérieur qui la ravage. Les deux fils, chacun à leur manière, tentent de se protéger de ces douleurs qu’ils ne peuvent comprendre ni apaiser. Tandis que Serge se construit dans l’obligation de réussite qu’il sent peser sur lui, Jean s’éloigne irrémédiablement. Serge devient un homme brillant et affable, à l’image de sa mère, centré sur l’image qu’il renvoie bien plus que sur ses émotions qu’il tient soigneusement corsetées. Il rencontre Marianne avec qui il fait un beau mariage malgré leurs différences, qui sont nombreuses. Mais rien n’est insurmontable quand on s’aime… Marianne se révèle dans cette relation. Elle qui a beaucoup souffert de ses rapports avec ses parents se bat jusqu’au bout pour préserver son amour pour Serge. C’est une femme qui devient forte malgré les coups qu’elle reçoit. On ne peut pas en dire autant de Serge, un homme tellement gâté par la vie qu’il en pourrit. Égocentrique diront certains, malheureux plutôt. Un être tellement peu sûr de lui qu’il en devient incapable de voir le bonheur quand il l’entoure, au point de tout gâcher pour aller au bout de ce qu’il a entrepris. Tout cela ne serait pas grave si, dans sa chute, il n’entraînait pas tous ceux qui l’aiment, car il est au milieu d’une toile affective qu’il déchire en voulant se retrouver. Quand bien même ce serait un monstre d’égoïsme, Serge reste un personnage attachant. Comment lui reprocher des erreurs qui découlent de son histoire ? Comment ne pas être ému de la tragédie d’un homme trompé par la course à l’argent et la liberté, alors que l’amour était sous son nez, un amour qui jamais n’apaisera sa blessure originelle ? Dans ce roman magistral, Alice Ferney tisse ensemble les thèmes qui jalonnent son œuvre : le couple et ses paradoxes, le lien parents/enfants où l’amour peut se changer en poison, l’idée aussi que les générations qui nous précèdent ont à voir avec ce que nous deviendrons. Si l’on ne peut décrocher de cette chronique familiale, c’est d’une part que les personnages du roman nous sont familiers dans leur trop grande humanité, mais aussi pour le talent de conteuse et d’analyste de l’auteure. En prenant du recul avec ses personnages, le narrateur omniscient installe l’atmosphère d’une tragédie antique où la chute de la famille Korol devient un exemple pour nous, lecteurs, exemple édifiant qui nous marquera longtemps après avoir refermé le livre.

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