Littérature française

Yanick Lahens

Passagères de nuit

✒ Manuel Hirbec

(Librairie La Buissonnière, Yvetot)

Dans un aller-retour d’Haïti à la Nouvelle-Orléans à travers le XIXe siècle, Yanick Lahens croise des lignées de femmes et fait entendre leurs voix de passeuses d’histoires, sources de beauté et de ténacité.

Dans l’ombre de l’Histoire et dans celle des hommes, les passagères de nuit sont celles que l’on ne voit pas, celles qui traversent discrètement les époques au fond des cales des navires négriers, dans des chambres de bonne ou des lits de maîtresse. Mais elles sont celles dont le regard aiguisé saisit ce qui fait frémir et vibrer le monde, celles qui le racontent, passeuses d’histoires inoubliables, murmurées d’une génération à l’autre et qui servent « à tenir debout dans une épaisseur invisible ». Car si ces femmes subissent la violence et la domination masculine et sociale, elles ne sont pas vaincues : elles affirment et imposent leur liberté, elles ne renoncent jamais. Florette, Camille, Elizabeth et Régina sont ces passagères de nuit, lignées de femmes qui traversent le XIXe siècle et dont les destins se croisent dans un intense et palpitant aller-retour d’Haïti à La Nouvelle-Orléans. Esclave violée par le maître de maison puis affranchie, Florette quitte Haïti pour la Louisiane : « je n’ai rien mais je veux tout et avant tout la liberté », clame-t-elle à sa fille Camille, femme joyeuse et insoumise préférant sa place conquise de femme indépendante à celle de seconde épouse, dans une Nouvelle-Orléans foisonnante. Portée par les souvenirs de sa grand-mère, Elizabeth, devenue la proie d’un homme d’affaires et maître-chanteur, refuse de se laisser faire et quitte à son tour la Louisiane pour rejoindre Haïti, trouvant au milieu des convulsions politiques un possible épanouissement de sa vie amoureuse, comme Régina qu’elle reconnaîtra comme une égale. Tout au bout de ces lignées de femmes, il y a celle qui aujourd’hui nous donne à entendre si délicatement leurs voix, Yanick Lahens, à la prose aussi somptueuse et envoûtante qu’elle est percutante et tenace.

Les autres chroniques du libraire