Le Livre de Kells

Kells est un genre de double littéraire de l'auteur, un jeune homme de 17 ans que l'on rencontre alors qu'il fuit sans retour un foyer névrotique et violent : il quitte définitivement la maison de celui qu'il appelle l'Autre, ce père maltraitant, facho et malhonnête, qu'on a déjà croisé dans Enfant de salaud. Kells est un pseudo choisi un peu par hasard, en référence à une reproduction d'un manuscrit irlandais qui figure sur une carte postale envoyée par son meilleur ami. Cette image et ce nom ont pour lui le goût de l'amitié et d'une mystérieuse beauté que le hasard a mis sur son chemin. Le début d'une passion irlandaise. On est en tout cas au début des années 1970 quand le roman s'ouvre et Paris est alors une fête. Mais pour Kells, Paris est surtout la ville d'une chute vertigineuse, celle qui va le voir devenir SDF puisqu'il va rester plusieurs mois à la rue et y faire l'expérience de l'extrême solitude et de l'extrême pauvreté. C'est dans la rue justement, au détour d'une action militante, qu'il rencontre les Mao, les militants maoïstes, qui revendiquent la prise du pouvoir par le peuple et par tous les moyens. Le jeune Kells trouve parmi eux une seconde famille, un lieu où il a enfin sa place, la culture de la solidarité et celle de l'engagement radical. C'est un roman sans doute en grande partie autobiographique qui éclaire une époque fondatrice de la vie de Sorj Chalandon. Il y évoque longuement ce qu'est la réalité physique et surtout psychologique d'un jeune SDF. Surtout il nous parle sans fard de l'extrême gauche radicale qui œuvrait à l'époque, celle qui voulait changer en profondeur notre modèle de société, avec cette question qui était alors centrale dans le débat : celle de la lutte politique armée, de sa pertinence et de ses limites.