Essais

Nadia Wassef

La Libraire du Caire

✒ Benoît Lacoste

(Librairie Aux feuilles volantes, Saint-Paul-lès-Dax)

Comment, d’une question anodine lors d’un repas entre amis, est née la librairie Diwan au Caire le 8 mars 2002 ? Comment « les trois femmes du Diwan » ont-elles pu parvenir à cet exploit, résister contre vents et marées, surmonter tous les obstacles et pérenniser cette institution deux décennies plus tard ?

« Que feriez-vous s’il n’y avait aucun obstacle à vos envies ? Hind et moi avions eu la même réponse : nous ouvririons une librairie, la première du genre au Caire. » De 2002 à 2013, Nadia Wassef a dirigé avec sa sœur Hind, et Hilal, une amie commune, tout d’abord la librairie Diwan dans l’île de Zamalek, un quartier chic du Caire, puis une dizaine de librairies à travers toute l’Égypte par la suite. Diwan est plus qu’une librairie, c’est un tiers-lieu offrant des toilettes propres et proposant des ouvrages en arabe, en français, en allemand et en anglais. La Libraire du Caire est le récit autobiographique de Nadia Wassef sur cette épopée extraordinaire d’une entrepreneuse battante qui a su résister à la fois aux hommes, aux aléas administratifs, à l’obscurantisme et aux différentes crises. La construction du livre est habile. Ce n’est pas un récit linéaire et ennuyeux, mais une immersion au cœur même de la réalité de l’Égypte. Chaque chapitre a pour titre une section de la librairie : « Café », « Essentiels d’Égypte », « Classiques » sont les plus marquants. « Diwan n’est pas une entreprise, c’est une personne. » Nadia Wassef narre, dans un récit sensible et émouvant, cette lutte intense et fatigante. Son franc-parler, son humour et sa sincérité offrent un récit aussi foisonnant que passionnant. Rien n’est laissé au bord du chemin : la difficulté à concilier vie professionnelle et vie familiale, la corruption, la censure, la montée de l’intégrisme, la révolution de la place Tahrir et l’arrivée au pouvoir du maréchal Al-Sissi qui la décide à abandonner la direction du Diwan pour s’exiler en Angleterre avec ses deux filles. Un déchirement sûrement, un soulagement assurément. « Diwan était ma lettre d’amour à l’Égypte. Et ce livre est ma lettre d’amour à Diwan. » La Libraire du Caire est également un superbe plaidoyer pour le métier de libraire, pour ce commerce essentiel que constituent nos librairies et surtout pour le livre que d’aucuns veulent réécrire, pire interdire. « Sur les étagères de Diwan, les livres sont restés en place, ont bougé, ont été achetés et abandonnés. Je m’identifie à eux. » La librairie Diwan poursuit son existence différemment aujourd’hui, sans sa créatrice, mais prolonge le combat en faveur des livres. À l’instar de Nadia Wassef, défendons la liberté d’expression, défendons la diversité et la pluralité, défendons l’émancipation par l’accès à la connaissance. Et continuons à ouvrir des librairies « en réaction à un monde qui a cessé de se soucier de l’écrit ».

Les autres chroniques du libraire