Vers ma fin

L’existence d’Aoileann est marquée par la souillure. Maudite aux yeux des habitants d’une île sinistre, elle demeure retranchée avec sa grand-mère dans une masure aux fenêtres murées, qui dissimule une réalité plus dérangeante encore : sa mère, la « Chose du lit », créature immonde à laquelle elles doivent prodiguer des soins pénibles et quotidiens. Lorsqu’une jeune artiste débarque sur l’île avec son bébé, notre narratrice éprouve un choc : celui d’être enfin traitée avec tendresse. Cela augure-t-il vraiment du meilleur ? Sophie White s’empare du genre de l’horreur pour évoquer la violence faite aux corps des femmes, le post-partum et la violence des désirs réprimés. Nous frappe en premier lieu la beauté évocatrice de son style, remarquablement traduit par Anne-Sylvie Homassel. Descriptif et factuel quand c’est nécessaire, il se pare d’une dimension poétique : ici et là, une image ou une expression vient nous cueillir, d’autant plus suggestives qu’elles entrent en résonance. En découle une narration redoutablement efficace, qui ne va jamais tout à fait là où on l’attend. De prime abord, tout semble fait pour nous rebuter : c’est pour mieux nous captiver à la radicalité du point de vue, nous acclimater à la singularité du personnage principal, prisonnière d’une condition funeste à laquelle elle s’est résignée contre son gré. De l’empathie, on en éprouve donc, mais ce ne saurait être le fin mot de cette histoire bel et bien horrifique, où le pire est toujours à attendre et le propos jamais univoque. Nous bousculant par des séquences saisissantes de body horror autant que par son ambivalence morale, Vers ma fin nous confronte de manière impitoyable, et paradoxalement réjouissante, à la perméabilité entre bien et mal, vengeance et rédemption, désir et cruauté.