Essais

Mana Neyestani

Petit manuel du parfait réfugié politique

illustration

Chronique de Jérémie Banel

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Après avoir quitté l’Iran où il avait été emprisonné, et toujours sous le coup d’une condamnation pour ses dessins, Mana Neyestani s’est réfugié en France. Il tente d’y régulariser sa situation. Commence un parcours infernal dans les méandres de l’administration.

Un retour en arrière pour ceux qui n’ont pas encore lu (et qui devraient se dépêcher de rattraper leur retard) Une métamorphose iranienne (Arte/Çà et là). L’auteur, dessinateur de presse et illustrateur de livre pour enfants, y relate son séjour dans les prisons iraniennes, pour un dessin et un mot qu’il croyait sans conséquences. Torturé, menacé de mort, il parvient à s’enfuir au péril de sa vie lors d’un périple qui le mène de Malaisie en Chine, en passant par la Turquie, avant de le faire atterrir à Paris, avec sa femme obligée de fuir avec lui. C’est là que nous le retrouvons pour ce Petit manuel du parfait réfugié politique. Et s’il a pu, un temps, penser qu’une fois dans la patrie des Droits de l’Homme, ses ennuis seraient enfin derrière lui, on s’aperçoit qu’il a rapidement déchanté. On découvre les innombrables tracasseries et humiliations que doivent subir tous ceux qui souhaitent régulariser leur situation et obtenir le précieux statut de réfugié. Entre bureaux et services tous plus opaques et suspicieux les uns que les autres, petites et grandes combines, c’est un autre versant du cauchemar kafkaïen qu’il explore. Et nous avec lui. S’il obtiendra finalement le précieux sésame, il n’en est pas de même pour la grande majorité des demandeurs, avec des conséquences parfois désastreuses. Car comment prouver que l’on est menacé dans un pays situé à l’autre bout du monde, sans preuves ou presque, face à une administration peu encline à reconnaître le statut de réfugié politique ? Plus proche du dessin de presse que du roman graphique, la malice et l’humour, souvent très noirs, de Mana Neyestani servent parfaitement le propos, appuyé par un trait à la fois sobre et évocateur. On retrouve tout l’art de la concision propre au dessin de presse, que l’auteur pratique depuis plus de dix ans. Enfin, même si ce projet date d’avant les événements de janvier, il prend bien sûr une dimension supplémentaire. La liberté de la presse est un combat que certains, ailleurs comme ici, payent de leur vie. On peut voir, au détour d’une case, apparaître Cabu et Charb. Un bel hommage. On imagine aisément l’actualité faire irruption dans le travail de création de l’auteur, par ailleurs membre de l’association Cartooning for Peace.

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