Littérature française

Jean-Marie Blas de Roblès

La Mémoire de riz

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Chronique de

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C’est avec un frisson de bonheur que j’ai découvert le recueil de nouvelles de Jean-Marie Blas de Roblès, publié par les éditions Zulma trente ans après sa première parution au Seuil. Et l’attente est amplement comblée, car ces vingt-deux contes sont de vraies merveilles, aussi drôles et fantaisistes que mélancoliques.

La première nouvelle donne le ton : « L’illusionniste », un personnage étrange du nom d’Eléazard, qui donne un curieux numéro de prestidigitation mettant en scène un principe qu’il a fait sien, selon lequel toute idée – de meurtre, par exemple – peut engendrer la mort. Avouez que c’est une bonne entrée en matière, une excellente façon d’intriguer le lecteur. Chacune de ces vingt-deux nouvelles amuse autant qu’elle déroute, fascine autant qu’elle suscite le malaise. Jean-Marie Blas de Roblès nous manipule, et nous nous laissons délicieusement prendre à ce jeu de dupes, entre fantaisie et réalité. Tout le plaisir de la nouvelle se tient ici, dans ces contes à portée philosophique. « La mémoire de riz », par exemple, véritable livre-monde écrit sur 5 000 grains de riz, que l’on égrène comme la plus précieuse des sagesses. L’art de la nouvelle est périlleux, et Blas de Roblès y excelle. Car sa capacité à conter, à créer des univers à la fois changeants et toujours en interaction, son écriture qui nous ravit autant qu’elle nous intrigue, sont les marques d’un grand écrivain. Il fait glisser le réel dans le fantastique avec douceur, et nous raconte les grands mythes et les craintes de l’humanité, comme dans « La loi Cioran » où, dans un futur proche, les livres trop nombreux sont envoyés dans l’espace pour y être stockés ; mais finissent par brûler comme des météorites en tombant dans l’atmosphère. En quelques pages, on tombe dans le piège de tableaux étranges et de récits à tiroirs qui nous emmènent dans une Chine ancestrale, nous jettent à fond de cale d’un navire, ou nous font traverser le Maghreb d’aujourd’hui. En mettant en place une conversation entre deux personnages pour installer le récit, il joue avec le lecteur, partant du principe que la partie est jouée et que le lecteur est une marionnette qui se laisse, volontiers il est vrai, manipuler par l’auteur. Clin d’œil à la plus brillante et la plus fulgurante des nouvelles, « L’échiquier de Santorin ». Il ne faut pas longtemps pour lire une nouvelle, et la magie, ici au sens pur, opère dès les premiers mots, car on se laisse berner par ces petites touches philosophiques, comme par un tour de passe-passe qui nous ferait oublier que tout ceci n’est que littérature.

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