Littérature française

Éric Chevillard

Ronce-Rose

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photo libraire

Chronique de Hugo Latreille

Librairie Nouvelle (Asnières-sur-Seine)

Moins méta, tout autant jubilatoire, le dernier-né du brillant Éric Chevillard est un conte d’enfant pour adultes. Une quête dérisoire qui, comme chacun des livres de l’auteur, est un espiègle événement littéraire.

« C’est beau, moi je trouve ça beau, les choses qu’on voit, ce qu’il y a partout, c’est beau. […] Je ne pense pas seulement aux nuages. Vous avez déjà regardé une chaise ? » Ainsi rencontre-t-on Ronce-Rose, petite fille élevée dans une recluse béatitude. Dans son carnet secret, que, chanceux, il nous est donné de lire, notre jeune narratrice, cette « fine mouche […] née de la dernière pluie », nous plonge au cœur de questions candides et sans réponses. Un monde d’épatants sophismes, de petits maux, d’aventures minuscules, d’amour des papillons et des mots compliqués qui ne veulent rien dire. Là est la poésie de Ronce-Rose, « ornithologue étymologiste » de son état. Autour, il y a Scorbella, la vieille sorcière voûtée, un fascinant voisin unijambiste qui a sans doute mangé sa jambe par gourmandise, et tout un peuple de mésanges. Et puis il y a le gardien, Mâchefer, et son « collaborateur » bodybuildé. Ces deux-là sont souvent absents la nuit. « Ils travaillent avec les banques, les bijouteries, les stations-services ». Ronce-Rose n’en comprend pas plus, au contraire de l’habile lecteur qui sent poindre le pire. Car un jour, ils ne rentrent pas. Livrée à elle-même, elle poursuit sa petite routine, s’occupe, s’ennuie, « on aimerait que quelque chose arrive ». Un sandwich, des culottes, un sac à dos, la voilà partie, Ronce-Rose, le chercher, Mâchefer, prête à mordre quiconque à l’oreille en cas d’attaque. S’il rentre pendant son absence, il n’aura qu’à suivre ses flèches tracées à la craie. La suite de ce carnet, il vous appartient de le découvrir. Le sordide rattrapera-t-il le pouvoir incantatoire des mots d’enfant ? Il vous appartient de lire Chevillard. C’est, depuis Mourir m’enrhume (Minuit, 1987), une subversion facétieuse de l’ordre des choses. C’est le contre-pied de toute facilité littéraire.