L'Homme aux deux visages

L'Homme aux deux visages est un texte hybride qui nous désarçonne avec éloquence, c’est le moins qu’on puisse dire. L’auteur, cela dit, nous a toujours habitués aux dualités, avec sa façon nuancée de captiver le lecteur et de mettre en avant un contexte personnel et historique, des enjeux politiques et des crises identitaires. Né au Vietnam, élevé aux États-Unis, il se sentait américain chez ses parents et espion vietnamien une fois dehors. Au fil de ses romans, il a toujours su faire sentir l’impossible sensation d’être à sa place. Le Sympathisant commençait déjà ainsi : « Je suis un espion, un agent dormant, un fantôme, un homme à deux visages ». C’est donc avec une soif d’arpenter plus personnellement sa mémoire qu’on ouvre ce dernier opus mêlant avec maestria description sociétale, polémiques, politique et histoire familiale. Un récit comme un flux de conscience à la deuxième personne, un rappel fragmentaire du passage à l'âge adulte de l’auteur, une remise à jour d'une expérience de réfugié dont il ne se souvient pas mais qu'il voit imprimée sur sa mère, son père et son frère aîné ‒ eux s'en souviennent ‒ un rappel de sa carrière universitaire et de ses écrits, de sa petite amie du lycée, de sa femme actuelle, de son fils et de sa fille. Mais surtout une intense et novatrice réflexion sur la réalité actuelle : la crise des réfugiés, le regard sur « les Asiatiques » pendant/depuis le Covid, l'Ukraine, George Floyd, la hiérarchie raciale et l'impérialisme en général, tout cela dans une mosaïque absolument touchante. Qui laisse ému et pantois. Comme ses non-dits si parlants. Ce texte fin imite par moments la poésie, donne souffle et sens aux espaces blancs, place savamment chaque mot, chaque phrase, alterne les voix et points de vue : une expérience de lecture unique et puissante, un livre aussi nécessaire que salutaire.