Littérature française

Anne Delaflotte Mehdevi

Le Livre des heures

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Chronique de Katia Leduc

Librairie L'Embarcadère (Saint-Nazaire)

Anne Delaflotte Mehdevi aborde la période du Moyen Âge de manière flamboyante et féminine sous les traits de Marguerite, enlumineuse de renom et indépendante, dans le Paris du Pont Notre-Dame. Un roman intimiste où la richesse des couleurs s’entremêle à l’éclosion des sentiments d’une femme libre.

Marguerite naît à Paris en 1468 au sein de l’atelier d’enluminure le plus en vue du moment, L’étoile d’or, tenu par son aïeul et son père. Dès son plus jeune âge, elle s’échappe des récriminations de sa mère et des tâches dites féminines pour se réfugier dans la salle des broyeurs où les apprentis préparent les couleurs. Marguerite, fascinée, y affûte son regard et son trait, « elle est née avec le désir de représenter le monde ». On découvre avec elle la douceur vert forêt de la malachite, la puissance de l’améthyste, la brillance du lapis lazuli, l’alchimie des pigments et des pierres broyées. À force de pugnacité et de ténacité, elle parviendra à faire reconnaître son talent et gravir les échelons. Très vite, Marguerite n’a qu’une idée en tête : à l’instar des bourgeois qui en commandent à foison, elle veut son livre d’heures. Ouvrage destiné aux fidèles catholiques, il s’agit d’un recueil de prières liées aux heures de la journée où s’y trouve entremêlé, selon le souhait des commanditaires, des recettes, faits d’armes familial, arbre généalogique… Dans le cas de l’adolescente, il s’agira « de pensées, des échappées intimes ». Se déploie alors tout le vécu d’une jeune fille en proie à ses émotions, ses interrogations, ses contradictions au sein d’une société peu encline à l’épanouissement des femmes. Marguerite trouve foi et réconfort dans les figures de Jeanne la Pucelle et surtout détermination en Christine de Pisan, son double féminin, veuve et démunie, qui sut vivre de sa plume. Au fil de l’élaboration de son livre, Marguerite devient femme, les aplats de couleurs reflètent les sentiments exaltés ou épreuves les plus difficiles : le violet et le bleu pour signifier les deuils de son aïeul et frère bien-aimé, le rouge écarlate et les orangés la passion et les tourments de l’amour empêché, le jaune la plénitude de la maternité. L’autrice nous fait revivre un Moyen Âge palpable « friand de couleur vive autant que d’épices. » On y suit les déambulations de Marguerite dans un Paris en pleine effervescence avec les joies simples d’une population prise dans le tourbillon des changements, à l’orée de la Renaissance qui se profile. Elle n’omet pas pour autant la froidure de l’hiver, les maladies épidémiques, les fragilités économiques, les guerres de religion qui ne demandent qu’à craqueler une paix bien chancelante. Un roman du ravissement où la sensualité des matières rejoint une écriture simple et épurée pour nous conter une tendre chronique chuchotée du fond des temps.