Jeunesse

Fred Bernard

Le Fantôme du Cirque d’Hiver

illustration
photo libraire

Chronique de Gwendal Oulés

Librairie Récréalivres (Le Mans)

C’est sous le chapiteau du Cirque d’Hiver que Fred Bernard et François Roca ont choisi de fêter deux décennies d’une fidèle collaboration. Sur la scène sont annoncés un numéro inédit (Le Fantôme du Cirque d’Hiver), mais aussi un florilège de leurs plus beaux tours de piste intitulé Créateurs d’aventures.

Page — Votre dernier album a pour cadre le célèbre Cirque d’Hiver. Ce n’est pas la première fois que vous explorez l’univers forain. Pour quelles raisons vous fascine-t-il ?
Fred Bernard — Après avoir visité l’opéra Garnier et écrit une histoire qui le prenait pour cadre il y a deux ans (Rose et l’automate de l’Opéra, Albin Michel Jeunesse), François Roca et moi avons songé au Cirque d’Hiver, de la même époque et tout aussi légendaire. Nous avions déjà abordé le thème du cirque à travers Jésus Betz (Seuil Jeunesse) et Le Pompier de Lilliputia (Albin Michel Jeunesse), et l’idée de nous y remettre nous démangeait un peu… Grâce à la gentillesse de Louis-Sampion Bouglione, nous avons pu visiter le bâtiment, explorer les coulisses pendant les spectacles, assister aux répétitions… J’ai un rapport particulier au cirque depuis l’enfance. J’aime beaucoup cet univers, et en même temps, j’en ai un peu peur. Je suis toujours très ému par l’ambiance souvent mélancolique qui se dégage des spectacles de cirque. Je verse souvent une petite larme à un moment ou un autre… J’aime la proximité avec les artistes sur la piste et j’ai toujours peur pour eux, qu’ils manquent le coche, qu’ils tombent, et que ça ne fonctionne pas bien. Je me mets à leur place en somme. Je ne sais pas si tous les enfants aiment le cirque, mais je suis fasciné par les équilibristes, les trapézistes, sans doute parce que j’ai fait huit ans de gymnastique acrobatique. Fut un temps où je pouvais faire des sauts périlleux et marcher longtemps sur les mains !

P. — Le Fantôme du Cirque d’Hiver voit le retour des fourmis de votre premier album (La Reine des fourmis a disparu, Albin Michel Jeunesse). D’inévitables invitées du vingtième anniversaire de votre collaboration artistique ?
F. B. et François Roca — Les fourmis rouges devaient revenir faire un petit coucou, vingt ans après notre premier album sorti en 1996. Pour nos quinze ans, déjà, avec Anouketh (Albin Michel Jeunesse), elles étaient là, et la petite Égyptienne les écrasait avec le doigt quand elle était en colère… On aime bien les clins d’œil !
Les héros de ce nouvel album sont un singe, Spirit, et un perroquet, Dino. Ils parlent d’un fantôme, mais le personnage principal reste le Cirque d’Hiver lui-même. Le Cirque d’Hiver est « habité », il en émane quelque chose de très fort, comme souvent dans les lieux anciens, où tant de choses se sont déroulées, des moments merveilleux, des tragédies, des rencontres, des accidents, tant de moments de joie, de communion, mais aussi de souffrances… C’est sans doute cela que l’on ressent quand on est dans son ventre.

F.B. — Quant au fantôme, j’aimerais y croire ! Quand je vivais en Angleterre j’étais surpris de constater que la plupart des Britanniques croyaient dur comme fer aux esprits et aux fantômes. Ils avaient presque tous des anecdotes et des histoires de ce genre à raconter. Ce n’est pas très ancré dans la culture française. Les fantômes sont beaucoup présents aux États-Unis, en Asie, en Afrique…

P. — En marge de votre dernier album paraît Fred Bernard & François Roca, créateurs d’aventures, une invitation à revisiter l’ensemble de votre travail (plus de vingt albums parus). Quels sentiments vous a inspiré ce regard rétrospectif et récapitulatif ?
F. B. et F. R. — Vingt ans, ce sont les noces de porcelaine, autant dire qu’elles sont encore très fragiles. Plus sérieusement, malgré le temps passé à travailler ensemble, nous ne nous sentons pas « arrivés », ni fatigués, ni même lassés. Dans cette brochure, nous avons pris le temps de consacrer une visite à chacun de ces albums si différents. Tous ces voyages, ces personnages de papier qu’on abandonne à la fin pour en imaginer de nouveaux. Jamais de suite, contrairement à ce que je fais en BD avec les aventures de Jeanne Picquigny chez Casterman… On est toujours excités à l’idée de se lancer dans une nouvelle aventure, on essaie de se surprendre l’un l’autre à chaque fois, c’est le secret des couples qui durent, paraît-il… On espère aussi surprendre notre éditrice, Lucette Savier, qui attend toujours fébrilement notre nouveau « délire », et puis surtout nos lecteurs. Les lecteurs de nos premiers albums ont 30 ans aujourd’hui, ils ont grandi comme nous sans Internet. Tout passe si vite. Nos références sont souvent anciennes, qu’elles renvoient à la peinture, au cinéma, à la littérature… Nous vieillissons, mais nos livres sont sans âge. Nos albums n’ont jamais été à la mode et sont donc indémodables. C’est une chance.

Les autres chroniques du libraire