Sciences humaines
Émilie Lanez
Folcoche
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Émilie Lanez
Folcoche
Grasset
01/10/2025
186 pages, 19 €
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Chronique de
Aquilina Tannous
Librairie Goulard (Aix-en-Provence) - ❤ Lu et conseillé par 16 libraire(s)
✒ Aquilina Tannous
(Librairie Goulard, Aix-en-Provence)
« Derrière le masque de Folcoche, une vie étouffée attendait d’être entendue. » Émilie Lanez déplie les archives, ouvre les silences et laisse, sous l’ombre d’un roman devenu légende, une vérité fragile et palpitante surgir enfin.
Dans Folcoche, Émilie Lanez remonte le courant d’un mythe littéraire français : la figure terrible de la mère dans Vipère au poing, celle que la littérature a condamnée pour l’éternité. Mais Folcoche, avant d’être un personnage, fut une femme : Paule Hervé-Bazin. On croyait tout savoir : la mère tyrannique, l’enfance martyrisée, l’enfant délivré par l’écriture. Émilie Lanez rouvre pourtant les portes verrouillées, plonge dans les archives familiales, déplie des lettres qui tremblent encore du froissement des secrets. Et soudain, la légende se dissout, laissant place au tremblement du réel. Le livre ne cherche ni la réhabilitation tendre ni le plaidoyer. Il écoute la part enfouie. Derrière la figure de froideur absolue apparaît une jeune femme ardente, cultivée, affamée de liberté mais enfermée dans une famille où l’obéissance tient lieu de destin. Une bourgeoisie catholique aux murs plus hauts que les murailles officielles. Paule n’a pas choisi sa vie ; elle la subit. Alors elle se durcit, se protège, se cuirasse. Émilie Lanez dévoile comment l’être entravé se courbe, se crispant peu à peu jusqu’à n’être plus qu’un bloc de sévérité. Et, surtout, l'autrice se tourne vers celui qu’on croyait irréprochable : Jean Hervé-Bazin, le fils devenu écrivain. Derrière l’enfant meurtri se dessine un homme plus subtil, plus obscur. Les archives le montrent virtuose de sa propre histoire, maître du cadrage : il choisit ce qu’il éclaire, ce qu’il efface. Il façonne la légende comme on taille une pierre dure. Pour donner à son roman la force d’un cri, il n’hésite pas à faire de sa mère une effigie de noirceur. La vérité devient matière, les blessures deviennent matériau littéraire. Hervé Bazin n’apparaît plus comme la victime absolue mais comme un narrateur souverain, prêt à tordre le réel pour que l’œuvre triomphe. Une plume qui, pour naître, accepte de brûler ce qu’elle nomme. L’autrice tisse sa prose comme on déplie un pli ancien. Chaque chapitre enlève un pan de brouillard, chaque témoignage fissure la statue. Folcoche devient alors une méditation sur l’implacable pouvoir de la fiction : lorsqu’un écrivain nomme, il définit. Lorsqu’il accuse, il condamne. Comment reprendre sa voix quand l’encre de l’autre a fait loi ? On referme ce livre avec un tremblement discret : rien n’efface la violence, ni celle de la mère ni celle du fils. Mais l’autrice redonne à Paule quelque chose que la littérature lui avait arraché, un visage.