Votre roman se dévoile comme une « confession glaçante » d'un marginal devenu tueur. En tant qu'acteur habitué à incarner des personnages complexes, comment votre expérience scénique a-t-elle influencé la construction de ce protagoniste tourmenté ?
Raphaël Quenard – Je pense que l’expérience du métier de comédien me pousse à utiliser beaucoup d’images dans le récit des situations. C’est ce qui donne sûrement un aspect cinématographique à certaines séquences du livre qui se tiennent dans de somptueux décors et qui détaillent des interactions très visuelles. Je pense aussi que mon expérience de comédien révèle l’importance et l’amour que je porte aux dialogues : j’ai adoré écrire les échanges entre les différents personnages du roman. Mais la littérature, à l’inverse du cinéma, a cet avantage de sonder l’intériorité des personnages, leurs pensées.
Le titre, Clamser à Tataouine, est un mélange d'argot et de destination lointaine. Quelle symbolique se cache derrière ce titre et comment reflète-t-il le voyage intérieur du personnage principal ?
R. Q. – Comme souvent, ce sont les modes d’expression et les mots sur lesquels mon cerveau s’arrête dans mon quotidien, leur musique qui me fascinent. La tonalité de tous ces mots mis bout à bout me plaisait donc j’ai décidé d’en faire le titre. Au-delà de ça, il évoque la funeste et inexorable fuite en avant de ce personnage qui se perd dans sa folie et qui va penser trouver le repos dans l’exil alors que la vie lui réserve un autre sort que le lecteur découvrira. Enfin, la nature vieillotte du mot « clamser » et l’expression « à Tataouine » rassemblent deux de mes passions (les vieux mots et les expressions, donc).
En tant qu'artiste multidisciplinaire, vous avez exploré le cinéma, le théâtre et maintenant la littérature. Qu'est-ce que l'écriture d'un roman vous a permis d'exprimer que les autres formes d'art ne vous offraient pas ?
R. Q. – L’écriture est pour l’instant, parmi les modes d’expression que j’ai pu explorer, celui qui offre de loin le plus de liberté. La profondeur et la radicalité qu’elle autorise permettent de détailler la psychologie d’un personnage et de lui conférer des nuances et un trouble que les autres médias ne peuvent qu’effleurer. C’est si jouissif que cela invite à renouveler l’expérience. J’espère que je pourrai publier d’autres romans.
Votre roman suinte l’outrance, la tendresse crade, la violence poétique. Écrire, pour vous, c’est comme jouer : sublimer le chaos intérieur sans jamais chercher à le contenir ?
R. Q. – Oui, je pense que l’art offre l’opportunité du sacré et que la seule quête qui vaille pour nous les artistes est celle de la grâce. Et j’ai l’impression que la grâce apparaît quand une chose est confondante de vérité ou d’authenticité, et que la mise à nu de cette chose et l’angle de vue qu’un artiste lui offre permettent de faire vibrer une corde universelle qui nous rassemble. Parce que nos cœurs n’ont pas de carapace pour se protéger de la vérité et quand bien même la vérité est gênante à admettre, comme c’est souvent le cas avec certains personnages, elle trouvera un chemin pour se faufiler en nous et rendre l’expérience agréable, troublante ou dérangeante. Mais ce ne sont pas des obstacles au plaisir cathartique.
La trajectoire du narrateur ressemble à une odyssée sans boussole, traversée de visions et d’élans lyriques. Comment avez-vous pensé la structure du roman ? Comme un délire maîtrisé ou une logique intérieure à la folie ?
R. Q. – Le narrateur progresse dans une quête qu’il s’est fixée. Cette quête est lâche, irresponsable et délirante mais son application est plutôt méthodique. Donc la déraison cohabite avec une forme de logique dans le déploiement de sa folie. J’ai essayé de raconter un cerveau malade, un cerveau horrible et sombre mais qui ne manque pas de drôlerie ni de philosophie. Il s’offre au lecteur dans son plus simple appareil. De telle sorte que c’est parfois vil, parfois marrant, parfois pathétique, parfois fulgurant, parfois un peu de tout ce qui fait la complexité d’une âme. D’une âme particulière puisqu’il s’agit d’un tueur en série qui est donc par définition un homme qui se substitue à Dieu pour choisir l’heure de la mort de certains de ses congénères.
Le narrateur sort de prison, traînant sa carcasse cabossée et ses mots en feu dans un monde qui ne veut plus de lui. Il décide de faire justice à sa manière, en s’en prenant aux femmes qu’il tient pour responsables. Clamser à Tataouine est un cri. Celui d’un laissé-pour-compte qui crache sa vie dans une langue taillée à la serpe. Entre aveux détraqués et rêveries fêlées, le roman suit la dérive d’un homme brisé, drôle malgré lui, poète sans le vouloir. Loin de toute bienséance, Quenard forge une voix, un rythme, une matière verbale indocile. Un roman qui mord, qui saigne et dont chaque phrase refuse de s’excuser d’exister.