Jeunesse

Annic Zanzi

Architectures d’art brut

illustration
photo libraire

Chronique de Gwendal Oulés

Librairie Récréalivres (Le Mans)

Comment les éditeurs peuvent-ils continuer d’innover dans le domaine du documentaire sur l’art, confronté lui aussi à une large offre numérique ? D’abord, peut-être, en faisant explorer aux enfants des chemins moins fréquentés. Mais aussi en réfléchissant davantage aux enjeux liés à la formation du regard.

Pour emprunter ces chemins de traverse, les éditions Thierry Magnier s’associent à la collection « Art Brut » de Lausanne et publient deux ouvrages très différents dans leur forme. Tous deux parient néanmoins avec le même bonheur sur l’absence d’a priori des enfants pour découvrir la pluralité d’une forme d’art longtemps dépréciée. La première proposition est axée autour d’une figure très liée au monde de la petite enfance, celle du bonhomme. Bonhomme d’art brut de Lucienne Peiry use judicieusement de la forme du cartonné pour toucher son public et faire un clin d’œil au dessin de Giovani Bosco, choisi pour la couverture. La deuxième proposition explore le domaine architectural dans un choix de créations souvent d’une minutie ahurissante. Dans Architectures d’art brut, les questions d’Anic Zanzi invitent l’enfant à se projeter dans ces bâtiments et ces villes imaginaires. Dans ces deux livres, la démarche autodidacte à l’origine des œuvres encourage un affranchissement des conventions. Découvre le Street-Art de Caroline Desnoëttes est le septième titre d’une collection dont la maquette est pensée autour d’un système de rabats. Après la reproduction de trois œuvres sur chaque double page, trois focus en marge dissimulent une série de notules afin d’identifier les artistes, auxquelles succèdent des questions pour mieux comprendre leur démarche. Une histoire du mouvement, des biographies et un lexique viennent compléter l’ouvrage. La reconnaissance tardive de cet art qui a connu son essor à partir des années 1960 explique sans doute le peu d’ouvrages existant sur le sujet à destination du jeune public. Découvre le Street-Art est une invitation faite à l’enfant à voir autrement son univers quotidien, à envisager la ville comme un musée à ciel ouvert. Exercer le regard est justement un des objectifs du Petit Musée de Picasso de l’incontournable Béatrice Fontanel. Les éditions Gallimard Jeunesse explorent l’idée excitante d’un musée portatif en proposant au jeune lecteur de découvrir l’œuvre immense et protéiforme de Picasso. La po-chette qui accompagne le documentaire classique recèle autant d’outils ludiques destinés à mettre en espace sa propre interprétation d’une exposition du maître : carnet de dessins, lithographies, affiches et un musée de poche. Quelle simple et belle idée que ces murs blancs cartonnés où le lecteur viendra réaliser son accrochage à l’aide d’autocollants repositionnables ! Ce passage du rôle de spectateur au rôle d’acteur est au cœur de l’album L’Explo-rateur de Bonnefrite, publié au Rouergue. Nous sommes invités sur les pas d’un professeur au regard prétendument exercé. Il aura pourtant le plus grand mal à nous démontrer l’efficacité des fameuses « lentilles M5 Matuvux ». Les monstres dont elles sont censées révéler la présence sont bien là, et l’enfant pourra très bien, s’il le souhaite, se passer de tout outillage superflu pour les démasquer. Les superbes illustrations (pour ne pas dire tableaux) de Bonnefrite jouent malicieusement avec l’abstraction. Car il faut faire confiance au regard de l’enfant, à son imagination pour investir le monde et ses beautés cachées. Album système sans système, L’Explo-rateur met cruellement en scène l’adulte tel un aveugle, un ignorant qui, fort de sa science, a choisi de trouver monstrueux ce qu’il n’est plus capable de comprendre. Peut-être avons-nous tous tendance, en tant qu’adultes, à devenir des professeurs Von Matuvu ? Saurez-vous vous passer de lunettes ?

Les autres chroniques du libraire