Polar

S.A. Cosby

Le feu aux poudres

  • S.A. Cosby
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Szczeciner
    Sonatine
    11/01/2024
    456 p., 23 €
  • L'entretien par Brice Bonneau
    Librairie Agora (La Roche-sur-Yon)
  • Lu & conseillé par
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L'entretien par Brice Bonneau

Librairie Agora (La Roche-sur-Yon)

Pour son troisième roman traduit en France aux éditions Sonatine, S.A. Cosby frappe très fort avec un polar magistral qui nous plonge dans la violence du sud de l’Amérique, autour d’un fait divers macabre qui va mettre le feu aux poudres d’une communauté fracturée par la question raciale.

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire des romans noirs où l'injustice sociale et la violence sont omniprésentes ?

S. A. Cosby - Je pense que c'est la prévalence de l'injustice perpétrée contre ma communauté et l'absence de décisions politiques pour l’endiguer. En tant qu’auteur, je me sens comme un devoir de mettre ma plume au service de ces sujets de société car j’ai la conviction que tout art est une expression de contestation politique.

 

Vous explorez les profondeurs d'une Amérique fracturée qui semble irréconciliable : êtes-vous optimiste quant à l'avenir de votre pays ?

S. A. C. - Je suis optimiste avec prudence mais je suis aussi réaliste. Je sais que l'optimisme, s’il n’est pas suivi d’action, mène à la tragédie. Les fractures au sein de la société américaine sont profondes et remontent à la guerre de Sécession. Je pense que nous n’avons jamais pris le temps de nous attaquer à ces divisions et qu’il revient donc aux artistes de s’en emparer.

 

Charon et Titus Crown pourraient-ils exister dans un État du nord ou ce cadre fictif est-il limité aux États du sud avec leur histoire esclavagiste ?

S. A. C. - Je suis né dans la Virginie rurale, je suis un fils du Sud. Il y a encore beaucoup de gens qui pensent que le Sud est l'État des néo-confédérés et rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Le Sud est une panoplie de cultures, d'Histoires, de peuples et c'est ce qui fait la beauté de ce territoire. Pour autant, le racisme, que ce soit dans un ancien État esclavagiste ou dans un État du nord, est omniprésent. Il est cousu dans la trame de notre pays, donc Charon et Titus pourraient exister dans l'Ohio comme en Pennsylvanie. Je n’écris pas pour condamner le Sud mais pour essayer de le comprendre à travers des personnages comme moi, en faisant de mon mieux pour représenter les gens avec qui j'ai grandi, pour raconter leurs histoires. Pour paraphraser James Baldwin, c’est parce que j’aime le Sud que je me sens libre de le critiquer.

 

Vos personnages sont souvent des anges déchus : le shérif Crown semble lutter autant contre ses ennemis que contre ses démons intérieurs. Est-ce une vision cynique de la nature humaine ou une nécessité narrative ?

S. A. C. - Il s’agit un peu des deux. La représentation de la complexité humaine est à la fois nécessaire à l'intrigue et révélatrice de notre nature profonde : nous abritons des forces obscures qui peuvent nous amener à commettre des actes terribles. Écrire sur des voyous est facile car la seule règle à respecter est qu’ils ne doivent pas se faire attraper. Avec Titus, j’étais en face d’un personnage avec un sens moral très affirmé et nécessaire dans son travail. On m’a dit un jour que pour faire un bon travail d’écriture, il fallait mettre son personnage dans un arbre et lui jeter des pierres. J’ai donc eu envie d’envoyer des briques sur Titus pour mettre à l’épreuve sa rigueur morale et voir s’il tomberait de l’arbre quand tout deviendrait difficile. Car c’est beaucoup plus simple de rester droit dans ses bottes quand tout va bien que lorsque tout s’embrase.

 

Dans ce roman, la religion et l’Église jouent un rôle prépondérant dans la communauté et son Histoire. Était-ce important pour vous d’en parler ?

S. A. C. - Le père de Titus est un homme spirituel qui trouve du réconfort à l’église, alors que son fils non. Ça ne les empêche pas d’avoir une relation apaisée malgré des opinions opposées. J’ai surtout voulu pointer du doigt l’hypocrisie de certaines communautés religieuses en montrant les bons comme les mauvais côtés des cultes dans l’Histoire de l’Amérique et leur influence sur les collectivités. La spiritualité est une belle chose qui n’existe pas que dans les églises.

 

Elmore Leonard et Dennis Lehane sont des sources d'inspiration pour vous. Quels autres auteurs ou livres vous inspirent ?

S. A. C. - Vaste question ! Je m'inspire de beaucoup de grands écrivains contemporains et passés. Walter Mosley, Chester Himes, Ernest J. Gaines, Jordan Harper, Jennifer Hillier, Jesmyn Ward et bien d'autres. Un bon écrivain apprend toujours et je m'appuie encore sur chacun d'eux.

 

Pour la deuxième année consécutive, Barack Obama vous a inclus dans ses recommandations de lecture estivales. Cela vous rend-il fier de votre travail ?

S. A. C. - J’en suis très fier et vraiment honoré. C'est une validation de mon travail acharné.

 

Pour Titus Crown, premier shérif noir élu dans le comté de Charon, les emmerdes ne font que débuter. Alors qu’il s’était déjà mis à dos une partie de sa communauté, les uns pour ce que sa couleur de peau représente dans un État du sud de l’Amérique, les autres à cause de l’uniforme qu’il porte et de sa rigueur inébranlable vécues comme une trahison, Crown va devoir faire face à une situation explosive : lors d’une intervention suite à une fusillade dans un établissement, un professeur est tué et son meurtrier a été abattu pour avoir refusé de se rendre. Les découvertes sidérantes de l’enquête viendront mettre à rude épreuve une paix sociale déjà précaire à Charon. Le shérif parviendra-t-il à y faire face ?