Littérature française

François-Henri Désérable

Dans les pas de Nicolas Bouvier

photo libraire

L'entretien par Adrien Lemoine

Librairie Eyrolles (Paris)

François-Henri Désérable est un auteur qui ne cesse d'étonner tant par sa plume touchante que par ses histoires flamboyantes. L'auteur de Mon maître et mon vainqueur revient avec un récit de voyage sensible et drôle qui l’entraîne sur les pas de Nicolas Bouvier dans un pays pour le moins incertain, l'Iran.

Habitué à la forme romanesque, pourquoi faites-vous le choix du récit de voyage pour ce livre ?

François-Henri Désérable - Parce que je voulais raconter les choses telles que je les avais vues – même si je ne le fais jamais qu’à travers une sensibilité qui m’est propre. C’est d’ailleurs la difficulté du récit de voyage : dépourvu d’intrigue (au contraire de la fiction), il repose entièrement sur une façon de dire les choses, c’est-à-dire la transcription d’une façon de les voir, qui dépend elle-même d’une manière d’être au monde. Et puis j’ai toujours voulu écrire des récits de voyage. Celui-ci est le premier mais sûrement pas le dernier.

 

Avez-vous toujours été un grand voyageur ou ce goût du voyage est-il né, comme semble l'indiquer le titre de votre livre, d'une lecture ?

F.-H. D. - J’ai eu deux vies : celle de joueur de hockey sur glace professionnel, où j’ai beaucoup voyagé à travers la France et l’Europe, mais toujours de patinoires en patinoires – sans rien voir d’autre que des patinoires. Et puis, à 28 ans, j’ai arrêté le hockey, j’ai pris un sac à dos et je suis parti plusieurs mois en Amérique du Sud, sur les traces de Che Guevara. Depuis, je ne me suis plus vraiment arrêté et je passe un tiers de l’année au moins sur les routes.

 

Les récents événements en Iran ont-ils participé à la nécessité de ce voyage ?

F.-H. D. - La question s’est posée de savoir si je devais ajourner mon projet de voyage en Iran. Plus de 500 manifestants avaient été tués, 15 000 étaient en prison, les journalistes occidentaux ne pouvaient plus y aller, etc. Les informations qui nous parvenaient d’Iran étaient de seconde main. J’avais la chance d’avoir obtenu un visa : je ne pouvais pas me dérober au dernier moment. Plus que jamais, il fallait y aller.

Y a-t-il une forme d'aboutissement dans la publication de ce récit ou est-ce une façon de prolonger la traversée ?

F.-H. D. - Je pense à cette phrase d’Annie Ernaux, en épigraphe du Jeune homme : « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues ». Je pourrais dire la même chose du voyage : si je ne l’écris pas, il a seulement été vécu – et il est voué à l’oubli. Ce récit, c’est d’abord une tentative de ne pas oublier ces quelques semaines où l’Iran m’a traversé autant que je l’ai traversé.

 

Est-ce le voyage qui vous pousse à écrire ou est-ce l'écriture qui vous pousse à voyager ?

F.-H. D. - La lecture me pousse à voyager, le voyage à écrire, l’écriture à lire, etc. Bouvier m’a donné envie de découvrir l’Iran, Kapuściński de remonter l’Afrique, Pasolini de sillonner l’Inde, Stendhal et Giono d’aller en Italie, Rimbaud en Abyssinie, Stevenson avec un âne dans les Cévennes, David-Néel de la Chine à l’Inde à travers le Tibet, Ella Maillart jusqu’aux confins de l’Asie, etc. Je pars, je voyage et je me dis, en rentrant, qu’il va bien falloir donner leur poids de papier aux routes, aux rêves, aux rencontres.

 

Vous avez été un grand joueur de hockey professionnel jusqu'à vos 28 ans. Vous avez déjà probablement voyagé au Canada mais vous n'en avez pas tiré l'inspiration d'un livre. Est-ce un projet qui vous taraude ?

F.-H. D. - Écrire sur le hockey, oui, j’y ai songé : l’histoire – vraie – d’un jeune hockeyeur russe, qui était le Mbappé du hockey, promis à une immense carrière et qui est mort à 19 ans, en plein match, d’une crise cardiaque – on a découvert plus tard qu’il se dopait. À travers lui, je voudrais raconter la Russie des années 1990 au début des années 2000. Un jour, peut-être.

 

L'Usure d'un monde est né de la découverte du chef-d’œuvre de Nicolas Bouvier. En effet, le tout jeune hockeyeur professionnel qu'est François-Henri Désérable se lance, après la lecture de L'Usage du monde, dans de multiples voyages. Le jour où notre auteur décide de marcher dans les pas de son mentor en traversant l'Iran, il est loin d'imaginer que ce pays sera déchiré par une révolte violemment réprimée par le régime des mollahs. Au fil de rencontres plus ou moins accueillantes, François-Henri Désérable dresse un constat inquiétant mais bienveillant sur ce pays. Entre rire bienvenu et passages difficiles, ce récit d'une fine observation nous donne à lire un voyage fabuleux au coeur d'une société en plein bouleversement.