Littérature étrangère

Paolo Cognetti

Et je chantais à mi-voix un été ancien

FG

✒ François-Jean Goudeau

(Etablissement Scolaire UCO - Université de Laval, Laval)

Quand deux artistes milanais dialoguent ensemble, à près d’un siècle d’intervalle, le résultat est, jusqu’au titre, d’une rare magnificence. Avec des parole enchevêtrées qui dressent le portrait d’une poétesse, photographe et alpiniste à découvrir enfin et vraiment en France : Antonia Pozzi.

« Antonia était une jeune Milanaise amoureuse de la montagne. Elle est née en hiver, le 13 février 1912. Moi aussi je suis né à Milan en hiver et il m’est souvent arrivé de passer devant chez elle. » Ces mots de l’écrivain et réalisateur Paolo Cognetti – né en 1978, lauréat du prix Médicis étranger en 2017 avec Les Huit Montagnes (Stock) – ouvrent le récit hybride de Et je chantais à mi-voix un été ancien. Où il commente, digresse, éclaire, avec déférence et admiration, des textes poétiques, épistolaires ainsi que des photographies signés d’Antonia et datés de 1929 à 1938, l’année où elle se suicida à l’âge de 26 ans.

Éprise de sommets, de vers sépulcraux, du rigorisme ès-lettres exalté et mélancolique de Flaubert au sujet duquel elle fit une thèse remarquée sur sa formation littéraire, d’étés alpestres ou balnéaires, de sentiments paradoxaux, elle s’épuise à force de passions, dépressions et désillusions : « à cause du trop-plein de vie que j’ai dans le sang / je tremble / dans le vaste hiver ». Et ni la poésie, ni la photographie (qui « sont devenues, pour elle, deux gestes complémentaires, l’œil précède le mot », observe finement Cognetti), ni le désir d’enfants, ni les amants (essentiellement Antonio et Dino, le premier et le dernier, tous inéluctablement en-deçà des aspirations de l’autrice de La Vie rêvée), ni l’attention constante de ses proches n’arriveront à l’aider à retrouver son « haut pays abandonné ». Même ses Préalpes lombardes chéries – lieu privilégié de sa quête existentielle et sensorielle, la montagne qui « nous apprend à durer, malgré les blessures et les tourments » – ne suffiront pas à apaiser le sien.

Il y a un peu de cette même fascination, de cette même incompréhension affectueuse parfois aussi, dans le témoignage précieux d’Angelo Pellegrino (Goliarda, Le Tripode, 2024) consacré à sa désormais et heureusement célèbre âme-sœur, l’écrivaine sicilienne de L’Art de la joie : Goliarda Sapienza.

Si l’une est septentrionale et l’autre méridionale, elles ont en commun cette soif d’absolu empirique, sans renoncement ou compromis possible. Jusqu’à l’excès. Où le divin n ‘est pas au ciel mais dans « l’inquiète langueur de [leur] chevelure à la tension élancée de [leur] pied ». Avec pour seules compagnes fidèles, l’intranquillité, l’insatisfaction. Et, surtout, un génie qu’il est temps de leur reconnaître pleinement.

« Et je regardais les hauts rochers

les hauts récifs

dans les mers du vent –

et je chantais à mi-voix un été

ancien, qui avec ses rhododendrons amers

s’embrasait dans mon sang. »

Peut-être le plus beau livre de cette année 2025.

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