Jeunesse

Zonk Zelda , Alain Rey

Trop forts, les mots !

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photo libraire

Chronique de Enrica Foures

Librairie Lafolye & La Sadel (Vannes)

Alain Rey fait une incursion dans l’univers jeunesse. Impossible pour nous de passer à côté ! Avec Trop fort, les mots ! (Milan), aidé par sa complice du Robert, Danièle Morvan, il fait partager aux 8-13 ans sa passion de la langue. Dans ce joli livre illustré avec humour par Zelda Zonk, le grand linguiste se penche sur une cinquantaine de mots familiers à nos chères têtes blondes : dinosaures, bédés, ciné, princesse, école, fesses, etc.

Page : On vous connaissait « sérieux », dirigeant de nombreux projets pour adultes, souvent colossaux, autour de la langue française, et voilà que l’on vous retrouve, avec plaisir, dans l’univers de la littérature jeunesse. Parler des mots aux enfants, c’était important pour vous ? Comment est né ce projet ?

Alain Rey : J’avais déjà réalisé un projet pour les enfants aux éditions DDB, un tout petit opuscule, Des Mots magiques , centré sur les mots de la politesse. Trop fort, les mots ! est un projet qui m’a été proposé par les éditions Milan et qui était à la base prévu pour être écrit à deux, avec Danièle Morvan. Mais, suite à de gros problèmes de santé, Danièle n’a pu participer autant que prévu. Et comme, dans l’édition, il y a des délais à respecter, je me suis retrouvé à écrire la quasi-totalité de l’ouvrage. Même si elle m’a beaucoup assisté sur le choix des mots et que son aide m’a été salutaire lorsque je partais dans des explications trop complexes pour des enfants : parler des « sans-culottes », d’accord, mais il n’était pas question de se lancer dans un cours d’Histoire rébarbatif ! Il faut, pour accrocher les jeunes lecteurs, trouver des anecdotes, de préférences amusantes. Je suis persuadé qu’on ne doit pas parler aux enfants comme à des imbéciles. Il est essentiel de leur raconter des choses réelles, en y mettant la forme, mais toujours des choses vraies.

 

P. : Pensez-vous que les enfants sont curieux de découvrir l’origine des mots et des expressions qu’ils utilisent au quotidien ?

A. R. : On remarque que lorsque les enfants apprennent à lire et à écrire, et même avant, lorsqu’ils apprennent à parler, ils sont attirés par les mots, ils ont une curiosité naturelle qui les poussent à s’y intéresser. Ils ont de plus un sens poétique plus aiguisé que les adultes. Lorsque l’on grandit, cet intérêt s’émousse souvent, car les adultes utilisent les mots sans y penser. Il se développe une certaine lassitude de la parole quotidienne. Nous avons choisi comme accroche des mots qui parlent aux enfants et leur sont familiers et des mots qui caractérisent la vie contemporaine. Avec cinquante mots, il faut faire des choix draconiens. Je tenais à leur montrer que les mots qu’ils utilisent n’ont pas toujours eu la même signification et qu’ils ont parfois des origines plus que surprenantes (tel que « boucher » qui vient de « bouc »). Leur langue est vivante et les mots ont une histoire parfois très inattendue. Le livre a aussi pour ambition de leur donner l’envie d’aller eux-mêmes découvrir l’origine d’autres mots, d’aiguiser leur curiosité.

 

P. : Vous ne faites donc pas partie de ces personnes qui pensent, comme on l’entend souvent, que la langue française est en péril et qu’on la parle de moins en moins bien ?

A. R. : Je ne pense pas, non. L’arrivée de l’informatique n’a, à mon sens, pas mis à mal l’écrit. Au contraire, il est peut-être même revenu avec l’écriture des messages électroniques et des blogs. Je n’ai pas intégré au livre trop d’expressions à la mode, comme « trop cool », pour éviter qu’il ne vieillisse trop vite. Ces expressions changent rapidement, il est vrai, mais celles qui sont un peu anciennes sont toujours connues et s’utilisent aussi plus ou moins selon la localisation géographique, selon qu’on est en ville ou à la campagne, par exemple. J’ai, par contre, beaucoup insisté sur les différents niveaux de langue : langage parlé, argotique, soutenu… On apprendra à écrire de manière plus travaillée si on veut produire un roman, mais le langage de la rue est aussi passionnant. La langue s’enrichit dans la pratique et non dans l’apprentissage des règles.

 

P. : Quel enfant-lecteur étiez-vous ? Avez-vous toujours eu cette attirance pour la langue française ?

A. R. : J’étais un grand lecteur, un dévoreur de livres. Je lisais des ouvrages bien au-dessus de mon âge, sans tout comprendre, mais simplement pour la magie des mots et des phrases, pour les sensations qu’ils produisaient et l’imaginaire qu’ils éveillaient en moi. Par exemple, je me souviens avoir lu L’Enfer de Dante vers 13-14 ans et avoir été émerveillé par cette écriture qui me transportait. J’ai toujours beaucoup aimé lire, peut-être grâce à ma mère qui m’aurait lu avec plus de constance que d’autres parents des histoires qui me fascinaient dès mon plus jeune âge. J’ai aussi adoré lire des auteurs qui savent mêler l’imaginaire et la réalité, notamment des auteurs des xviiie et xix e siècles comme Jules Verne ou Daniel Defoe. Mais mon intérêt ne réside pas uniquement dans l’étude de la langue française. Les langues étrangères, même si je n’étais pas spécialement doué pour les apprendre, me passionnent également, ainsi que la francophonie et les langues régionales. Il serait d’ailleurs intéressant de concevoir un jour un livre pour les enfants français sur le parler québécois. Il est très curieux de se rendre compte, en allant à Montréal, ville que j’ai énormément fréquentée à une époque, que les Québécois comprennent parfaitement les Français, alors que l’inverse n’est pas vrai du tout ! Dans un autre registre, ayant depuis mon plus jeune âge toujours adoré la bande dessinée, je me verrais bien écrire un scénario. Mais on ne me l’a pas encore proposé et il faut que la nouvelle édition du Dictionnaire Historique m’en laisse le temps : 60 000 entrées et plus un seul collaborateur !

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