Littérature française

Kaouther Adimi

La Joie ennemie

✒ Dolly Choueiri

(Librairie Des gens qui lisent, Sartrouville)

Ce titre est un énorme coup de cœur. Il paraît dans la collection « Ma nuit au musée » qui propose à un auteur ou une autrice de passer une nuit dans le musée de son choix pour y écrire un texte.

Kaouther Adimi avait déjà tenté l’expérience, il y a quelques années, au Musée Picasso, où elle avait rencontré l’œuvre de la peintre algérienne Baya. Mais à ce moment-là, aller au bout de la nuit et de l’écriture avait été impossible. Elle revient cette nuit à l’Institut du monde arabe, dans ses sous-sols, où une rétrospective de l’œuvre de Baya est exposée. Au cœur de la nuit, elle est entourée de ces toiles dont les couleurs incroyables la transportent dans son pays d’enfance. L’histoire qui est racontée là, c’est celle d’une petite fille, née dans les années 1980, en Algérie, de parents universitaires qui, au début des années 1990, viennent s’installer en France, du côté de Grenoble. Mais le père de la petite Kaouther est lié à l’armée qui a financé ses études et refuse de laisser son pays sombrer en restant au loin. Parce que les années 1990, en Algérie, c’est la décennie noire, la dictature militaire, l’horreur islamiste, les attentats, les faux barrages, la violence et le sang. Alors que tous ceux qui le peuvent fuient Alger, lui prend la route à contre-sens et ramène sa famille à Alger, au cœur de la violence. De l’enfance, il reste des bribes, des souvenirs, des joies et des failles. Des morceaux de soi qu’elle tente de reconstituer, de recomposer, comme on pose des couleurs sur une toile, des failles qu’elle essaie de combler grâce à l’art, la littérature. Ça parle d’enfance, de la guerre, des traumatismes, des souvenirs vrais ou faux, des amitiés intenses, des choix de nos parents. De cette longue nuit, avant d’atteindre l’aube. C’est un texte qui résonnera très fort pour tous ceux qui pensent avec intensité au pays natal et à la façon dont se construisent les souvenirs. C’est percutant, vibrant, immensément beau, comme ce tableau qu’on attendait et qui nous éclaire enfin dans la nuit.

Les autres chroniques du libraire