Essais

Roland Gori

Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ?

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photo libraire

Chronique de Valérie Wosinski

Pigiste ()

Après ses travaux sur la médicalisation excessive de la médecine ou sur la frénésie de l’évaluation dans tous les domaines de l’éducation ou du travail, Roland Gori poursuit son analyse des méfaits de la technique telle qu’elle est utilisée par le néo-libéralisme actuel. Il est des pathologies de la démocratie déjà pointées par Benjamin Constant ou Tocqueville qui conduisent le citoyen à se renfermer sur sa sphère privée et la poursuite de ses désirs de consommation, au détriment de son engagement politique. Délaissant les actions collectives, il promeut un idéal individuel de satisfaction sans cesse relancé. L’obsession de la sécurité est l’un des nouveaux ingrédients de la dépossession civique. Mais Roland Gori va plus loin en rappelant, à l’appui des travaux menés par Freud et des découvertes de la psychanalyse, que la culpabilité est au fondement même du lien social via l’intériorisation de la haine de l’autre. Oublier ce qui constitue le fond même de la socialisation en mettant en place procédures et statistiques ne peut que conduire au relâchement du lien social : « La perte de la substance éthique provient du fait que le pouvoir exige des comportements conformes sans se préoccuper des intentions morales qui les déterminent ». Ces procédures de comptage, standardisation, réification… entraîne une nouvelle servitude volontaire qui dénie à chacun sa liberté fondamentale, c’est-à-dire, d’abord, celle de désirer, voire de désirer en vain. C’est la peur de ce vide inhérent à notre condition humaine que les colifichets de la consommation, joints à un sentiment entretenu d’insécurité, veulent masquer. Du même coup, c’est la responsabilité de chacun – responsabilité envers lui-même comme envers l’autre – que l’on étouffe, mollement mais sûrement.