Essais

Les sens de l’homme

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Par Valérie Wosinski

Pigiste ()

Pascal avait raison. Plus encore qu’il ne le pensait : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ». Pour autant, il lui arrive de se rapprocher de ces deux facettes, soit qu’il cherche d’où il vient, soit qu’il se demande où il va.

Nous ne savons finalement pas grand chose. D’où venons-nous ? Le débat semble tranché, mais depuis peu – et sous réserve de découvertes nouvelles. Où allons-nous ? Bien malin qui peut le dire. Pire encore : qui sommes-nous ? La certitude vient à la fin. Et encore…. Pour ce qui est des origines, Pascal Picq et Laurent Lemire reviennent sur la quête des origines de l’homme et démontrent à quel point l’idée d’évolution se révèle pernicieuse lorsqu’elle fait de nous l’aboutissement grandiose de l’apparition de la vie sur terre (À la recherche de l’homme, coll. « Documento », Robert Laffont). Dans la même optique, l’obsession du chaînon manquant, qui nous distinguerait – enfin – de l’autre, de l’animal, du singe est illusoire. Car « le singe est un homme comme les autres » et seuls deux chromosomes nous séparent des grands singes africains. Ainsi, « l’homme ne descend pas du singe, il descend de la branche »… Du moins sait-on, cent ans après la parution de L’origine des espèces de Darwin (Seuil), que l’origine géographique est africaine. Fait étrange, il n’existait pas de traduction française de la première édition de ce texte si révolutionnaire pour l’intelligence qu’a l’homme de lui-même. C’est chose faite désormais grâce à Thierry Hoquet, qui nous apprend que mieux vaut lire cette première édition que la sixième et dernière, amplement modifiée et beaucoup plus difficile à lire. L’apport théorique de Darwin est déjà tout entier dans cette première version, davantage que ses remaniements tardifs, quand bien même elle ne contient pas le mot évolution. Comme le note Nicolas Grimaldi, le propre de l’homme n’est pas d’être le sommet de cette évolution, perspective anthropocentrique bien naïve, mais d’appartenir à la fois à l’ordre de la vie et à l’ordre de la représentation. Prenant les exemples du snob et du dandy, N. Grimaldi démontre à quel point le besoin des autres, de la même espèce, détermine la construction de soi : « Le dandy n’attend donc que de soi la consécration que les snobs n’attendent que des autres ». Ces exemples, pour outrés qu’ils soient, illustrent la liberté qui nous reste : « Alors que la nature nous a fait ce que nous sommes, la volonté nous reprend en quelque sorte à la nature en nous faisant devenir ce que nous n’étions pas ». Dès lors conviendrait-il de se débarrasser de ce que Thomas Keating, père cistercien propagateur de la prière de silence, appelle le « faux moi » (Condition spirituelle de l’être humain, Coll. « Souffle de l’esprit », Actes Sud). Celui qui, pétri de peur, de lâchetés, de refoulements, cherche sa vie et son bonheur ailleurs qu’en lui-même : « Nous ne savons rien de ce que nous sommes. Il est important d’en prendre conscience ». Éparpillement, divertissement, reconnaissance, autant de leurres. Et quel manque d’exigence au regard de ces expériences qui paraissent si loin de nous, celle de l’ouverture à l’Autre que décrit (trente et un ans après la parution du premier tome) le second volume de la Fable mystique, recueil de textes de haut vol de Michel de Certeau publié par Luce Giard, dont on retiendra ici seulement la définition : « est mystique celui ou celle qui ne peut s’arrêter de marcher et qui, avec la certitude de ce qui lui manque, sait de chaque lieu et de chaque objet que ce n’est pas ça, qu’on ne peut résider ici ni se contenter de cela ». Spirituellement, l’évolution peut se faire en marche arrière.