Littérature française
Pierre Michon
J'écris l'Iliade

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Pierre Michon
J'écris l'Iliade
Gallimard
06/02/2025
268 pages, 21 €
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Chronique de
Nicolas Mouton
Librairie Le Presse papier (Argenteuil) - ❤ Lu et conseillé par 10 libraire(s)

✒ Nicolas Mouton
(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)
Grande voix de la littérature contemporaine et auteur mythique des Vies minuscules (1984) ou de La Grande Beune (1995), Pierre Michon s’empare du plus audacieux sujet qui soit. J’écris L’Iliade, par où tout commence et tout finit.
Il faut être bien impudent pour tenter de rendre compte d’un tel livre dont chaque page est une merveille. Ampleur et malice du style, griserie des jeux littéraires, érudition savoureuse, intensité des plaisirs et surtout profonde sincérité. Mais c’est avant tout sa puissance romanesque qui nous emporte. Le premier chapitre (« Hoplite ») s’ouvre sur un voyage en train du narrateur filant vers Lyon effectuer ses trois jours. Ce train qui file vers l’écriture réapparaîtra à plusieurs reprises dans le roman. Tout comme le thème de la passante, chère à Baudelaire (« un éclair et puis la nuit »), ou les notes de « blond », ou la charge érotique de la locomotive, puissante et fumante, gorgée d’eau. Elle porte le nom de « Mikado ». Et comme au jeu des petites baguettes de bois, les thèmes du livre vont tomber, s’emmêler et il faudra toute l’ingéniosité du récit pour tenter de remettre le monde en ordre, avec précaution et sans qu’un mot n’aille heurter l’autre, pour retrouver, peut-être, les vingt-quatre chants d’Homère. Se préparer à écrire comme on combat. Il faut en avertir le lecteur qui ne doit pas se sentir hésitant au seuil de ce livre : Pierre Michon, bien que maniant beaucoup de références aux mythes, a l’élégance de rendre son récit toujours fluide et compréhensible, même pour qui ne serait pas familier de L’Iliade. Il mêle ses souvenirs à ses lectures, passe d’une époque à l’autre, file des métaphores de couleur, évoque la Sicile comme le hameau des Cards, chante les corps, leurs extases et leurs impasses comme le ferait un rhapsode. Il coud les chapitres et se fait aède. Est-ce qu’être un dieu c’est inventer une langue ? Plein d’autodérision, amant secret d’Hélène de Troie, au crépuscule de son œuvre, Pierre Michon brûle ses vaisseaux et se réinvente.