Littérature française

Jean Echenoz

Bristol

✒ Arnaud Bresson

(Librairie Sauramps Comédie, Montpellier)

Ce Robert Bristol, qui donne son nom au nouveau roman de Jean Echenoz, est un personnage relativement banal. C’est justement-là qu’intervient la dimension féerique de l’écriture de l’auteur : d’un coup de baguette magique, il réussit à transformer une banale citrouille en un magnifique et majestueux carrosse !

Soyons complètement honnêtes : pour tout lecteur non rompu à la prose « échenozienne », l’intrigue du nouvel ouvrage de l’auteur de Je m’en vais, Courir ou 14, pourrait sembler légère malgré des moments parfois rocambolesques. Jugez-en plutôt : Robert Bristol, cinéaste ayant touché à tous les genres sans rencontrer de véritable succès, doit adapter un roman d’aventure de l’autrice à succès Marjorie des Marais. Le roman débute lorsque le réalisateur sort de son immeuble. Au même moment, le corps d’un homme nu s’écrase à quelques mètres de lui. Et Robert Bristol, pris dans les problématiques d’élaboration de son long métrage, n’y fait guère attention et continue sa route. En ces toutes premières phrases, tout le génie de Jean Echenoz se révèle : alors que tout autre romancier aurait tiré de cet événement le fil d’une intrique presque policière, lui décide de le laisser de côté et de suivre la vie de son personnage principal : les situations s’enchaînent sans grands rebondissements malgré quelques moments lunaires. Bien évidemment, le fait divers va malgré tout resurgir dans l’intrigue à un moment où le lecteur ne s’y attend plus. Et si Echenoz capte le lecteur avec son intrigue sans le perdre, c’est bien évidemment grâce à sa magnifique écriture. Elle est d’une précision métronomique, alerte, drôle, décalée sans se laisser aller à ce qu’exècre l’auteur, à savoir l’ironie qui, pour lui, induit un surplomb sur le sujet. Jean Echenoz est davantage dans la distance, ne semblant jamais certain de ce qu’il avance (les « ils nous semble » dont il parsème certaines séquences peuvent en attester). Et surtout, comme je l’ai dit plus haut, et c’est particulièrement remarquable et jouissif (osons les mots !), il JOUE : il joue avec la langue, il joue avec la structure même de ses écrits, il joue avec les noms dont il affuble ses personnages, il joue avec les apparences et les clichés, il joue principalement avec son lecteur qui ne sait certainement pas ce dont sera fait la prochaine phrase tant elle peut l’emmener loin de ce qu’il a lu précédemment. Ce qui ressort de l’expérience de cette lecture est la notion de plaisir, le plaisir pour le lecteur de se laisser embarquer dans un univers singulier, une écriture virtuose, à la fois documentaire et poétique par instants, emplie constamment d’humour et à la construction toujours inventive. Et l’on se met à rêver que si l’on avait eu l’ambition d’être écrivain, on aurait certainement voulu écrire comme Jean Echenoz.

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