Littérature française

Philippe Jaenada

Spiridon superstar

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photo libraire

Chronique de Romain Cabane

Librairie des Danaïdes (Aix-les-Bains)

Alors qu’approchent ces jeux d’été au Brésil, il est de circonstance de se replonger dans l’histoire de l’épreuve du marathon. Deux auteurs nous y invitent, et les figures qu’ils dépeignent méritent amplement qu’on s’y arrête un moment. À vos marques !

Au travers de ces deux romans, deux destins semblables et malgré tout bien différents. Celui du grec Spiridon Louis (ou Spyros Louis, comme le soulignerait Philippe Jaenada), et celui de l’Algérien Ahmed Boughera El Ouafi. Si vous avez peut-être entendu parler du premier, le second vous sera certainement inconnu, ou c’est que vous êtes vous-même champion d’athlétisme, féru d’histoire du sport, ou journaliste dans un quotidien sportif… Tous deux furent médaillés d’or dans la discipline historiquement reine des Jeux olympiques : le marathon. Dans un style très différent, les deux auteurs racontent le parcours de leur protagoniste. Philippe Jaenada, avec emphase, humour, recul et amusement, décrit celui du vainqueur des premiers Jeux olympiques de l’ère moderne ; Philippe Langenieux-Villard, avec sobriété, compréhension, douceur et affection (sens premier du terme bien sûr), retrace celui du vainqueur des Jeux olympiques de 1928 à Amsterdam, vingt-huit ans avant Alain Mimoun, qui le sortira de l’oubli pour un temps. Le premier retrace avec verve les débuts, puis la renaissance de ces manifestations antiques. D’après lui, sans faire dans le détail, on est allé chercher Spiridon Louis, qui s’est révélé impressionnant… presque à l’insu de son plein gré. Il courrait tous les jours derrière son chariot de porteur d’eau, ne se voyait pas vainqueur, y a été plus ou moins poussé. A contrario, notre second roman présente la vie d’El Ouafi, coureur algérien appelé en France pour participer à la Grande Guerre (rappelons que l’Algérie, à cette époque, c’est la France). Il survit à celle-ci. Lui aime courir, manque de technique, mais veut apprendre, humble et toutefois peu à peu persuadé de ses chances, certain qu’il va réussir et que cette réussite sera ferment d’intégration. Car il est français, mais seulement sur les papiers, lui qui se sent pourtant tellement redevable à ce pays. Dans chacun de ces livres, on sent la fièvre de ces rendez-vous sportifs et on s’imprègne du contexte social ambiant. Mais alors que Spiridon Louis est acclamé par le peuple grec, qu’il deviendra une sorte de héros national, Ahmed Boughera El Ouafi se verra disqualifié sous un prétexte assez injuste, que vous pourrez découvrir et apprécier à sa juste valeur. Deux histoires proches où vous goûterez l’esprit de l’olympisme sous un autre visage. Amateurisme (cette fois-ci dans tous les sens du terme), nationalisme, grandeur et oubli : que deviennent les stars d’un jour ? Deux essais sur l’essence des jeux, sur ce que les nations et les hommes réservent à leurs athlètes, et, à la lecture de ces romans, à ces bêtes de foire.