Littérature française

Chloé Delaume

Pauvre folle

illustration

Chronique de Laura Picro

Librairie L'Arbre à lettres (Paris)

Féministe un peu sorcière, Chloé Delaume joue ici avec la magie des mots et leur capacité à sublimer ou disséquer le réel pour transmuter le récit de sa vie. Et c'est vertigineux !

« La fin du monde n'a pas du tout la forme prévue » : l'effondrement est sans panache, ni grande tirade finale. Quel malheur pour une amoureuse des mots, du choc esthétique de leur agencement, du rythme des phrases et de leur ponctuation ! Car les mots sont au cœur de cette autofiction, dans laquelle Chloé Delaume/Clotilde revient sur son histoire intime pour résoudre une énigme qui lui tord le cœur. Le temps d’un trajet en train vers Heidelberg, elle va fouiller dans son crâne, mettre ses souvenirs à plat, les observer et les recoudre afin de recomposer une mosaïque dont l'image finale éclairera la situation. Une auto-psy qui va « en mettre partout » : elle devra affronter ses dissonances cognitives et mettre en lumière ses dichotomies. Pour cheminer dans cette quête intérieure, il faudra poser les mots avec précision et ce, en puisant dans tous les registres du vocabulaire, usuel, poétique, médical : féminicide, phallocratie, anhédonie, bipolarité, sonorité, fusion. L'occasion de revenir sur leur sens exact et leur juste utilisation dans son tissu biographique. De cerner ceux qui enflamment, ceux auxquels on veut échapper, ceux qui font mal, ceux qui font enrager, ceux qui apaisent, ceux qui relèvent d'injonctions sociales ou que cette même société ostracise, mais surtout celui qui sert de pivot au récit : l'amour. Dans quels cas l'utiliser ? Comment le définir ? Est-ce un choc esthétique ? Une construction imaginaire ? Des pathologies qui se rencontrent ? Le charnel ou le ravissement des mots dans une conversation commune ? Comme pour toute histoire, il possède sa propre structure, grammaire et conjugaison. En le décortiquant, l'auto-psy se fera alors autopsie d'un déni amoureux. Qui est « la pauvre folle » ? Celle qui perd la raison dans un amour impossible ou celle qui va au bout du réel ? Si l'écriture est le reflet de l'âme, elle en montre une, ici, pétrie de poésie et d'engagements, à l'humour piquant et la passion dévorante.