Littérature française

Hugo Boris

Débarquer

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Chronique de Élodie Bonnafoux

Librairie Arcanes (Châteauroux)

On connaît Hugo Boris pour plusieurs de ses romans, notamment Trois Grands Fauves (Belfond et Pocket) et Police (Grasset et Pocket). Si certains auteurs n'en finissent jamais de creuser le même sillon, lui, au contraire, aime explorer dans chaque livre un univers différent. Cette fois, il s'agit des plages de Normandie avec deux personnages sur le fil.

Pouvez-vous nous parler de ce premier quart du roman, de la façon dont vous avez imaginé et construit cette formidable description du débarquement vécu de l’intérieur ?

Hugo Boris - Si je faisais une comparaison cinématographique, je dirais que c'est une scène que j'ai conçue à la fois en cinémascope et caméra à l'épaule : cinémascope parce que même si on est avec Andrew tout le temps, l'arrière-plan ne se laisse jamais oublier. J'ai arpenté la côte, les plages, j'ai rencontré les guides, le directeur du musée d'Utah Beach et même un spécialiste des barges pour pouvoir raconter le débarquement d'une manière qui ne soit pas livresque. Mais on reste en caméra portée parce qu'on ne lâche pas Andrew qu'on cueille sur le transport de troupes au milieu de la nuit, avant qu'il ne descende dans l'une de ces barges.

 

Pouvez-vous nous parler un peu d'Andrew, cet homme malmené par l'Histoire, que l'on voit passer par toutes les nuances qui existent entre le courage et la peur panique ?

H. B. - C'est un jeune sergent qui appartient à une division qui n'a encore jamais connu le feu. Il est presque dépossédé de l'événement par l'attirance brutale et imprévue qu'il ressent pour un autre soldat qui le déstabilise complètement. On va vivre le débarquement par le prisme de son regard. C'est le noyau profond de sa personnalité qui est atteint sur Omaha Beach et, à un moment donné, il redevient un enfant qui appelle sa mère. Soixante-dix ans plus tard, Andrew ressent le besoin de revenir sur les traces du débarquement, sur les traces des combats qu'il a menés. Et finalement, que vient-il chercher si ce n'est cet enfant inconsolé qui n'a jamais quitté cette plage ?

 

Il y a un deuxième personnage très fort qui ne manque pas de courage non plus et qui elle aussi est au cœur de l'épreuve.

H. B. - Magali est une jeune guide des plages d'une trentaine d'années, mère de deux enfants. Pour les gens de sa profession, c'est le Graal absolu de recevoir un vétéran, ce qui arrive une fois ou deux dans une carrière. Sauf que l'arrivée d'Andrew a lieu au pire moment de la vie de Magali dont le mari a disparu neuf mois auparavant. Ce qui est par ailleurs une disparition inquiétante car on ne sait pas s'il est mort ou vivant. Elle ne vit plus vraiment, ne tient que grâce aux médicaments qu'elle prend. Quand Andrew débarque, c'est trop pour elle. Débarquer va raconter la rencontre entre cet homme et cette femme et comment leurs destins vont se lier presque malgré eux.

 

On retrouve dans ce roman le canevas du face-à-face auquel vous vous êtes déjà intéressé (je pense notamment à Police). Est-ce une manière pour vous de pousser vos personnages dans leurs retranchements ?

H. B. - Ils sont prisonniers l'un de l'autre au départ : Magali ne veut pas de lui, elle essaie de s'en débarrasser, de le refiler à un collègue. Quand elle va à la gare, elle espère tomber sur une famille d'Américains enthousiastes et reconnaissants. Mais elle trouve un homme seul, taiseux, pas très sympathique qui la considère plus comme un chauffeur VTC que comme une guide des plages. Et lui, à l'inverse, le pauvre, revit des choses bouleversantes en revenant en Normandie. Et qui a-t-il pour l'accueillir ? Une demi-folle qui le perd dans le bocage, qui lui crie dessus ! Et puis, petit à petit, ils vont se trouver, s'aider et se rattraper l'un l'autre.

 

Vous les traitez avec beaucoup de délicatesse, leur laissant leurs silences et leurs zones d'ombre. Auriez-vous une certaine tendresse pour eux ?

H. B. - Pour faire vivre des personnages, il faut les comprendre et dès lors, on éprouve pour eux de l'empathie. Je travaille une empathie un peu particulière dans Débarquer, avec des gestes et des actions signifiantes : je ne dis pas ce que les personnages pensent, par contre on les voit agir. Je crois qu'à l'arrivée, c'est beaucoup plus fort. Hitchcock avait cette formule : « tout ce qui est dit au lieu d'être montré est perdu pour le spectateur ». Et je crois qu'on pourrait dire parfois la même chose pour le lecteur.

 

À propos du livre
Andrew, jeune soldat qui n'a encore jamais porté les armes, s'apprête à débarquer sur une plage normande par un sale matin de juin 1944. Magali, de nos jours, perd pied depuis la disparition de son mari, évaporé. Elle est désormais seule avec deux très jeunes enfants. Quand, à l'âge de 90 ans, Andrew décide de revenir sur les lieux où il a connu l'épreuve du feu (et sans doute laissé une partie de son âme), il tombe sur Magali, devenue guide des plages et que les derniers mois ont sacrément malmenée. Elle va dans un premier temps tout faire pour se débarrasser de lui. Le lecteur découvre ces personnages au bord de la rupture avec angoisse et avidité, dans ce roman haletant où l'on sent que quelques secondes suffiraient à tout faire basculer.