Sciences humaines

Pierre Branda

Elle & Lui

Entretien par Isabelle Aurousseau-Couriol

(Librairie de Paris, Saint-Étienne)

Ce n’est pas une ultime biographie sur ces deux protagonistes mais l’histoire d’un couple qui accédera au pouvoir. Elle sera sa « bonne étoile », il lui offrira le château de Malmaison et une couronne d’impératrice. De la fin de la Révolution française à 1814, leur histoire d’amour est liée à l’Histoire.

Napoléon et Joséphine, bien que d'origines sociales différentes, ont un certain nombre de traits en commun. Pouvez-vous nous présenter nos deux protagonistes.

Pierre Branda À première vue, tout les sépare : Napoléon, petit noble corse, marqué par le déracinement et une certaine gêne ; Joséphine, créole de la Martinique, mariée très tôt, veuve de la Révolution avec deux enfants à charge. Pourtant, leurs parcours présentent des similitudes frappantes : tous deux ont connu en même temps le déracinement comme subi les violences de l’Histoire. Cette « gémellité » de destin explique en partie pourquoi ils se sont si bien trouvés : deux êtres à la marge voulant s’imposer envers et contre tout, au sein d’une société bouleversée et qu’ils finiront par dominer.

 

Une rencontre, un amour romantique et fougueux de la part de Napoléon : pouvez-vous nous raconter le début de l'histoire de ce couple ?

P. B. – Leur histoire commence dans le Paris du Directoire, à l’automne 1795. Tout part d’un geste filial : Eugène, le fils de Joséphine, vient demander à Bonaparte de conserver l’épée de son père guillotiné. Touché, le général accepte, ce qui lui vaudra d’être remercié par Joséphine. Au fil des rencontres naît une passion dévorante chez Napoléon, presque maladive. Plus en retenue, Joséphine n’en est pas moins désireuse de se marier. Contrairement à ce que l’on croit, elle fut très attachée à lui, plus longtemps en tout cas car jamais elle ne voulut le quitter. On l’a souvent décrite comme seulement mue par l’intérêt, ce qui est inexact. Leur célébrité a fait naître le soupçon quant à la sincérité de leur relation. Dans cette histoire, la calomnie est omniprésente, d’où la nécessité de démêler sans cesse le faux du vrai et de ne pas s’en tenir aux idées reçues.

 

La correspondance privée de Bonaparte jalonne votre ouvrage. Comment nous est-elle parvenue et pourquoi si peu de lettres de Joséphine ?

P. B. – Les lettres de Napoléon furent précieusement conservées par Joséphine puis retrouvées après sa mort dans les meubles de Malmaison. Hortense, sa fille, en publia une partie en 1833, mais non sans coupures, censure et réécritures pour éviter les passages jugés trop compromettants. D’autres furent volées, circulant dans des collections privées avant de revenir par bribes aux archives. Il faut attendre 1979 pour qu’un corpus plus complet de lettres soit publié même s’il reste encore incomplet. En revanche, les lettres de Joséphine sont bien plus rares, Napoléon les ayant fait disparaître. Il estima sans doute que leur caractère trop intime pouvait nuire à sa postérité si elles venaient à être connues. Ainsi nous reste-t-il la brûlante prose de Napoléon et presque rien de Joséphine, un manque qui donna l’impression d’une absence de passion amoureuse chez elle.

 

Une histoire d'amour qui se confronte au pouvoir : l'absence d'héritier empoisonne leur union.

P. B. – Napoléon avait un réel désir d’enfant tandis que Joséphine en avait déjà eu deux, ce qui créa dès l’origine un certain déséquilibre entre eux. Quand le couple devint dynastique, le manque devint plus cruel encore car il fallait un héritier à l’Empire napoléonien naissant. L’adoption restait une solution mais quand Napoléon sut qu’il pouvait être père, la séparation était inéluctable. Tel fut le destin tourmenté d’un couple qui rencontra l’extraordinaire sur son chemin mais qui fut privé des joies simples de la parentalité.

 

Peut-on dire qu'ils ont formé un couple politique moderne ? Joséphine est-elle la première first lady française ?

P. B. – Sous le Consulat, Joséphine joua le rôle d’une véritable première dame : aux côtés du Premier consul, elle participait aux voyages officiels, recevait des fonctions officieuses et incarnait la part rassurante, bienfaisante du régime. Le couple fut aussi un couple médiatique avec d’un côté le conquérant Napoléon et de l’autre la douce Joséphine : Vénus en contrepoint de Mars en somme. Aussi, même si son influence politique resta limitée, en termes de représentation, elle fut bien la première figure féminine du pouvoir moderne en France, une sorte de matrice de nos first ladies contemporaines.

 

 

En octobre 1795, dans le Paris du Directoire, Napoléon et Joséphine se rencontrent. Quelques mois plus tard ils se marient, juste avant le départ du jeune général pour l’Italie. Il en est fou amoureux mais son besoin de gloire l’emportera toujours sur leur amour. Elle est surnommée « Notre-Dame des Victoires » car porteuse de bonnes nouvelles. S’ensuivent la campagne d’Égypte et le coup d’État du 18 Brumaire : Bonaparte devient consul et Joséphine joue le rôle de Première dame. Malmaison devient le symbole de leur amour. Mais l’absence de descendance devient problématique pour l’Empereur. Utilisant l’abondante correspondance de Napoléon, Pierre Branda nous raconte magnifiquement l’histoire de ce couple dont le divorce annonça la fin de l’Empire.

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