Sciences humaines
En ligne de mire
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Gilles Deleuze
Sur les lignes de vie
Minuit
02/10/2025
140 pages, 16 €
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Dossier de
Lyonel Sasso
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❤ Lu et conseillé par
2 libraire(s)
- Éric-Michel Tosolini de Alès (Alès)
- Aline Ferron de L'Alternative (Neuilly-Plaisance)
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Pierre Bayard
Je sommes plusieurs
Minuit
02/10/2025
182 pages, 18 €
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Dossier de
Lyonel Sasso
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❤ Lu et conseillé par
4 libraire(s)
- Émilie Lahaye de Ryst (Cherbourg-Octeville)
- Anne-Sophie Gagnol de Pierre Loti (Rochefort)
- Charles-Henri Bradier de L'Écritoire (Semur-en-Auxois)
- Maud Airiau de Les baronnes perchées (Liffré)
✒ Lyonel Sasso
Pierre Bayard récupère le mantra rimbaldien, Je est un autre, le temps d’un essai foisonnant. Il multiplie les pistes de lecture de notre réel. Il nous fait passer d’un son Mono à la Hi-Fi. Les cours de Gilles Deleuze tracent, eux, une ligne pas droite et aventureuse. C’est réjouissant !
Notre époque semble limpide et très nette. C’est-à-dire que la période que l’on vit présente tout de manière binaire. Comme le dit Gilles Deleuze, dans ces cours de mai-juin 1980, c’est « une espèce de binarité, de dualisme : homme-femme, riche-pauvre, jeune-vieux ». L’avènement du numérique et des réseaux sociaux ont fait proliférer cette « espèce de binarité ». Le jugement se sclérose. Heureusement, la parution aux éditions de Minuit de deux textes formidables vient faire taire le ronronnement des raisonnement actuels. Le premier texte, celui de Pierre Bayard, sonne, comme à son habitude, le printemps des idées. Que nous propose ce Je sommes plusieurs ? Il vient contester les différentes topiques de la pensée freudienne, en sortant un vieil outsider oublié ‒ Pierre Janet. Avant d’être supplanté par la psychanalyse, la pensée de Janet proposait une théorie concernant les personnalités multiples. Il analysait que, suite à un trauma, un individu pouvait connaître des états de dissociation, le conduisant à se comporter en un être dédoublé. Et même plus que dédoublé, fragmenté en plusieurs personnalités. Ce qui intéresse Bayard, c’est de pouvoir articuler une psyché, en dehors du noyau freudien (pulsion de vie, pulsion de mort). L’exemple du texte de Stevenson, Le Cas du Dr Jekyll et de M. Hyde, est significatif d’une variété multiple des personnalités, bien plus complexe qu’un penchant pour la vie ou pour la mort. Le texte de Bayard est truffé de références passionnantes : Pessoa et ses hétéronomes, Dominique Aury et son Histoire d’O ou bien Romain Gary/Émile Ajar. Ce qui lie l’essai de Pierre Bayard aux cours de Gilles Deleuze ‒ publication toujours sous la houlette de David Lapoujade ‒, c’est cette idée de désirer cartographier un élan de vie. C’est-à-dire de considérer le nombre important de trajectoires, de chemins qu’une personnalité peut prendre au cours de sa vie. Ces cours sont passionnants car ils forment la soudure entre L’Anti-Œdipe et Mille-Plateaux. Soudure ou segment, ligne voire délire pour reprendre les thèmes forts de la pensée de Deleuze. Ici encore, on se trouve face à la générosité d’un passeur de textes qui nous fait relire Tchekhov ou Kleist. Un passionnant distinguo est également établi entre fascisme et totalitarisme. Tout aussi passionnantes sont les pages consacrées à cet éternel déchirement de notre conscience, vouée à être scindée car « elle croit saisir le plus particulier et en même temps elle ne saisit que l’universel abstrait ». Ces textes forment un îlot de résistance face aux déferlantes d’analyses simplistes qui ponctuent nos actualités.