Littérature étrangère

Chimamanda Ngozi Adichie

L'Inventaire des rêves

✒ Ophélie Drezet

(Librairie La Maison jaune, Neuville-sur-Saône)

L’Inventaire des rêves marque le retour de Chimamanda Ngozi Adichie à la fiction depuis la publication d’Americanah en 2014. Avec une tendre perspicacité, elle nous raconte en quatre parties l’histoire de quatre femmes africaines liées par l’amitié, le travail et la souffrance d’être nées filles.

La fiction ne sert pas qu’à évader notre esprit. Dans ce nouveau roman, Chimamanda Ngozi Adichie soulève une multiplicité d’interrogations sociétales avec, en toile de fond, une unique question : pourquoi les femmes doivent-elles autant souffrir ? La pression sociale est mise en lumière par la description de détails foisonnants dans l’écriture mais tus dans la réalité : les règles douloureuses, les mutilations génitales, les accouchements solitaires, les agressions sexuelles. Qui sont ces quatre femmes ? D’abord Chiamaka, une jeune femme nigériane rêveuse, voyageuse qui vit aux États-Unis et est issue d’une famille igbo très aisée. Confinée seule, elle va nous guider dans ses souvenirs, sa quête de sens et d’amour. L’argent ne l’empêche pas de tomber sur des hommes ridicules, croqués avec une ironie mordante. Chiamaka transporte ainsi son lot de déceptions et de frustrations. Zikora est sa meilleure amie. Avocate, elle rêve d’une famille. Lorsqu’à 31 ans, elle tombe enfin enceinte de Kwame, le petit ami le plus attentionné et jovial qu’elle a eu, il fuit. Dans la salle d'accouchement, sa profonde solitude rencontre son sentiment d’être un fardeau et une ratée. Sa carrière est brillante mais nous suivons avec une grande compassion l’effondrement de son cœur et sa résilience. Kadiatou est probablement le personnage le plus bouleversant de ce roman. Femme de ménage de Chiamaka, mère célibataire, elle ne rêve que d’une vie sereine et simple. La vie ne l’a pas épargnée : encore en Guinée, elle a perdu sa sœur, a été abandonnée par son premier amour, a vu mourir son premier enfant. Lorsqu’elle arrive aux États-Unis, elle est employée dans un hôtel où elle est violée par un homme d’affaires français. Cette scène est d’une puissance, d’une force rare, faite de métaphores qui soulèvent en nous une profonde rage et un sentiment d’injustice foudroyant. La cousine de Chiamaka, Omelogor, quant à elle, vit toujours au Nigeria. C’est une banquière féroce qui blanchit l’argent de politiques corrompus. Fatiguée par la bassesse des hommes, elle s’installe aux États-Unis pour rédiger une thèse. Omelogor est sûre d’elle et intransigeante ; mais elle redistribue une partie de l’argent blanchi à des femmes nigérianes pauvres. Chaque choix de de ces femmes a des conséquences très lourdes. Loin d’avoir écrit un roman caricatural, Chimamanda Ngozi Adichie se plaît à piquer nos contradictions. Il est temps de mieux écouter et comprendre les souffrances des femmes pour cesser les comportements violents, irresponsables et lâches.

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