Littérature française

Sylvain Coher

Après le déluge

L'entretien par Ophélie Drezet

Librairie La Maison jaune (Neuville-sur-Saône)

Sylvain Coher, dans son nouveau roman Étraves, réveille notre bonheur de lecture avec un texte d’aventure audacieux à la langue inventive, peuplé de ports, bateaux et chants marins. Il nous embarque dans la grande épopée de Petit Roux sur une Terre submergée par les eaux.

Pouvez-vous nous parler des personnages qui peuplent Étraves ?

Sylvain Coher - Les personnages sont venus après. J'avais vraiment envie de retourner vers un roman maritime quand j’ai fini Nord Nord Ouest en 2015. La seule chose qui me tenait alors à cœur était cette idée biblique du Déluge que j’ai commencé à documenter. Une fois que j’ai admis que j’allais faire quelque chose qui ressemblerait à Waterworld mais sans Kevin Costner, c’est-à-dire la Terre recouverte d’eau, je me suis dit qu’il me faudrait des personnages. Ils sont venus comme ça, les uns après les autres. Il y a d’abord eu un enfant, une sorte de méchant capitaine puis tous les personnages sont venus un petit peu malgré moi pour nourrir l’histoire jusqu’à la fin.

 

Pouvez-vous nous résumer un peu l’histoire d'Étraves ?

S. C. - L’histoire commence par quelque chose de pas très gai, un convoi de bateaux dont le principal s’appelle le Ghost, un vieux cargo maté où vivent des rescapés. On pourrait dire des survivants, des gens qui n’ont pas de terre, parce que le niveau de l’eau est monté si haut qu’il ne reste plus que les montagnes qui forment des petits archipels et des îlots. Sur le Ghost, il y a un équipage d’une quarantaine de marins et parmi eux cet enfant, Petit Roux, qui a une quinzaine d’années et dont la mère est morte. Une loi a été fixée sur le Ghost : on ne mange pas les vivants. Par contre on s’autorise à manger les morts parce qu’il n’y a pas grand-chose à manger sur la mer. Ce gamin va décider d’offrir à sa mère une sépulture, donc de chercher un endroit, une terre habitable, accueillante pour l’enterrer.

 

Dans votre livre, les références sont nombreuses, du Déluge biblique à la mythologie, en passant par les références aux grands récits maritimes. Est-ce que Petit Roux est une nouvelle Antigone ou un nouveau capitaine Achab ?

S. C. - On ne trouvera pas chez moi beaucoup d’étagères bien droites et j’aime bien les pampilles et les bahuts avec les tiroirs qui manquent. On peut se référer à Achab, bien sûr, mais aussi, comme je le disais tout à l’heure, à Waterworld ou encore Pirates des Caraïbes, La Prophétie des grenouilles, bref tout ce qui constitue cet univers maritime qui est nourri de nos mythologies. J’ai vraiment aimé exploré jusqu’au bout cette histoire du Déluge biblique mais aussi toute cette culture populaire autour de la mer. Il ne faut donc pas oublier les chansons de marins, quitte à ce qu’elles soient un peu paillardes, ni la grande musique, ni les grands textes allant de Hemingway à Conrad, tout ce qui a nourri mon imaginaire de la mer.

 

Comment avez-vous envisagé votre travail sur la langue qui est ici très particulière ?

S. C. - C’était un vrai problème, au début : comment être crédible, c'est-à-dire être dans une espèce de futur proche avec une langue qui ne soit plus nourrie des échanges sociaux. Il faut imaginer ces navires qui vivent quasiment en autarcie, les uns avec les autres. J’ai aussi été élevé par un grand-père marin et je me rappelle son langage fleuri, ses vieux mots, toujours très poétiques et ces proverbes qu’on trouve dans tous les vieux ports du monde, parce que les marins aiment les proverbes. Toutes ces choses-là ont fini par s’agglomérer et former cette langue. C’est aussi une langue où j’ai pris le risque de mettre du vocabulaire technique, des vieux mots, des mots un peu tronqués ou inventés, en me disant que mon lecteur pourrait jouer avec cette espèce de salade lexicale. Ce n’est pas un livre où il faut avoir Wikipédia à côté en cherchant tous les mots, sinon ça devient un cauchemar, mais juste se laisser porter par la sonorité ; on joue aussi avec l’inconnu de certains mots et ça participe, pour moi, au plaisir de l’écriture de pouvoir proposer une abondance, une luxuriance lexicale et de l’organiser dans des phrases qui restent quand même assez réalistes.

 

L’eau est montée sur Terre, tellement qu’il ne reste que quelques îlots. La majeure partie de la population doit vivre sur des bateaux, avec les mœurs et coutumes de marins. Petit Roux est l’un d’eux. Il est jeune, sa mère vient de mourir et il va braver la loi des siens pour l’enterrer dignement sur une terre. Dans une barque, poursuivi par un monstrueux capitaine mais aidé par Furieuse, une matelote impétueuse, le jeune marin va braver les éléments par loyauté filiale. Dans une langue argotique, jargonnière, issue de chants marins et de langue portuaire, Sylvain Coher nous propose un roman d’aventure hors du commun, empli de personnages parfois facétieux, parfois cruels, souvent truculents.