Polar

Olivier Ciechelski

En eaux troubles

Entretien par Emmanuelle Cassagnes

(Librairie Liber & Vous, Bourgueil)

Maîtrisant avec talent points de bascule et ambiances envoûtantes, Olivier Ciechelski nous offre à nouveau, avec Le Livre des prodiges, un roman animal et profond dans lequel il sonde toute l’étendue de l’âme humaine. Un plongeon de 364 pages en eaux troubles et sous tension, dont on remonte groggy.

De même que Feux dans la plaine, votre premier roman, Le Livre des prodiges débute comme un polar d’enquête classique. Puis un point de bascule nous entraîne dans un roman plus noir, déroutant, à la lisière du fantastique et de l’animalité. C’est un schéma que vous affectionnez ?

Olivier Ciechelski – Ça n’était pas délibéré. Mais un roman est, de toute façon, le récit d’une transformation, l’histoire d’un personnage qui change. Nous changeons tous ou nous voulons changer ou bien nous souffrons de ne pas réussir à changer. C’est ce qui rend les histoires universelles. Comme ces deux livres s’attachent essentiellement à leurs personnages, il est naturel que les livres eux-mêmes subissent une forme de métamorphose. Par exemple, dans Feux dans la plaine, la rencontre du nature writing et du roman noir donne une sorte de survival teinté de magie. L’animalité n’était pas voulu non plus ! Mais de fait, pour moi (qui suis plutôt un cérébral et qui ai parfois du mal à être spontané), l’écriture est une libération. Et ce qu’elle libère est de l’ordre de l’intuition, du pulsionnel, de l’inconscient… L’écriture permet d’aller puiser dans les profondeurs et dans ces profondeurs, oui, il y a de l’animalité !

 

Le personnage de Nora est peut-être l’énigme la plus complexe du roman, le produit d’une foi puissante autant qu’incomprise et de discriminations intersectionnelles qui entretiennent son isolement. Comment s’est-elle construite sous votre stylo ?

O. C. – J’aime les personnages qui ont des convictions très radicales, une vision du monde qui n’appartient qu’à eux. Y compris quand cette vision est délirante. J’ai puisé ici dans l’imagerie et les concepts du christianisme mais l’important est surtout l’influence de cette foi sur la façon dont Nora conduit sa vie. Évidemment, cette vision radicale entraîne toujours un certain isolement mais également une certaine fascination. Je voulais aussi montrer un personnage dont les certitudes sont mises en crise par la réalité. Nora s’est forgé une carapace, un surmoi extrêmement résistant, fait de règles, d’impératifs moraux, etc. Mais une carapace, c’est à la fois ce qui vous protège et ce qui vous empêche de grandir. Et plus la cuirasse est épaisse, plus la crise de croissance est douloureuse. Nous sommes donc les spectateurs de cette crise : la carapace se fissure et laisse remonter à la surface tout ce que Nora refoulait jusqu’alors : la colère, la violence mais aussi la sensualité et, pour paraphraser John Le Carré dans Un pur espion, la capacité de dire « je veux » et pas seulement « je dois ». Un tel personnage, c’est aussi un regard décentré qui révèle le monde tel qu’il est, tel que nous ne le voyons plus, tant nous y sommes immergés.

 

Dans Feux dans la plaine, vous avez structuré le récit en altitude. Dans Le Livre des prodiges, c’est un grand plongeon dans la noirceur du port de Gennevilliers. Comment travaillez-vous sur les lieux pour leur donner une telle importance ?

O. C. – Pour écrire une scène, j’ai besoin de me la représenter – dans l’espace mais aussi dans ses autres dimensions (les sons, les odeurs, la lumière…). J’essaie donc de situer les scènes dans des lieux que je connais ou sur lesquels je peux me rendre. Par ailleurs il peut être utile, pour avoir une vue d’ensemble du roman qu’on est en train d’écrire, de le ramasser dans une formule ou une figure : est-ce un roman qui va du détail à l’ensemble, du haut vers le bas, de la surface aux profondeurs, des ténèbres à la lumière, est-ce que ce récit est une ligne droite, une spirale, un labyrinthe ?

 

Stanislas, Nora… L’enfer, c’est les autres ? Ou Homo homini lupus ?

O. C. – Je vous assure que j’aime les gens ! Mais j’avoue que je ne me suis jamais habitué à l’étendue de la cruauté, de la perversité, de la violence dont peut faire preuve l’espèce humaine. Cette violence, l’écriture est une façon à la fois de la regarder en face et de la transformer en art, c’est-à-dire de la rendre supportable.

 

 

Nora s’est engagée dans la police par vocation et s’y dédie corps et âme. Jeune femme noire et fervente croyante, elle subit pourtant les moqueries et le sexisme de ses collègues. Un matin, un conteneur est repêché dans le port de Gennevilliers. À l’intérieur, des corps de femmes noires et d’un enfant, morts noyés. Nora se sent investie : la mission de sa vie est là. Alors tout bascule. Écartée de l’enquête, elle contrevient aux ordres et s’empare de l’affaire. En marge d’une investigation à l’arrêt, elle plongera au plus profond d’elle-même pour faire surgir la vérité. Sous nos yeux, Nora se métamorphose dans un récit intense et envoûtant qui nous tient en apnée jusqu’à la dernière page.

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