Essais

« Chercher la vérité dans les sciences »

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Par Anne Canoville

Librairie L'Astrolabe (Rennes)

Pourquoi s'intéresser aujourd'hui aux philosophes du XVIIe siècle que sont Descartes et Leibniz ? Voici deux ouvrages qui partagent une même vocation : attiser notre curiosité à l’égard de ces penseurs, nous les rendre compréhensibles, les restituer dans leur modernité et leur actualité toujours renouvelée.

Ils fonctionnent, pour ainsi dire, tête-bêche : Sept jours dans la vie de Leibniz de Michael Kempe nourrit l’ambition de nous immerger dans l’univers mental d’un philosophe en recontextualisant sa pensée et en nous décrivant les activités de son quotidien au fur et à mesure des grandes périodes de sa vie intellectuelle ; Paul Clavier et Denis Moreau proposent, quant à eux, la première édition bilingue du Discours de la méthode de Descartes (1596-1650) avec une traduction intégrale du français de l’époque au français courant, comme pour faire venir ce classique de la philosophie au lectorat du XXIe siècle. Fondateur à bien des égards, le Discours de la méthode peut pâtir, dans sa réception, de l’aura déformée d’un cartésianisme mal compris ; d’où l’importance de se replonger dans un texte bien plus subtil et subversif qu’on le croit. Personnelle sans être subjectiviste, la prose de Descartes cherche à atteindre un plus large public que celui des universités, partageant des outils pour bien conduire ses raisonnements, distinguer le vrai du faux. Si le Discours pose également les bases métaphysiques d’une théorie aujourd’hui contestée notamment en psychologie , sa pertinence et sa portée restent intemporelles : Husserl, fondateur de la phénoménologie, évoquait l’épreuve du doute cartésien et la découverte du cogito, cette présence de la pensée à elle-même, comme une étape indispensable pour quiconque voudrait philosopher.
Quant à Leibniz, l’évocation de son ébullition intellectuelle et de sa graphomanie par Michael Kempe semble nous mener aux antipodes de la froide méthode cartésienne. Mais ces deux penseurs ont en commun d’appartenir à cette époque d’émergence de la science moderne, où la foi dans le progrès et la Raison avait un sens profond, pas seulement corrélé à la technique ou à une recherche de maîtrise de la nature, contrairement à ce qu’on a pu croire. Antérieures à la critique kantienne de la Raison, leur pensée est également métaphysique, au sens où elle fait procéder la possibilité du savoir scientifique d’une conception de la nature et du divin, outrepassant ainsi les limites de ce que peut prouver l’expérience. Toutefois, à suivre la vie de Leibniz comme les cogitations de Descartes, on se rend bien compte à l’évidence qu’ils n’avaient rien de rationalistes arides ou de métaphysiciens éthérés. Loin de faire fi du sensible, ils y sont tout autant immergés que nous, tâchant d’en comprendre le fonctionnement, d’en tirer de grands principes et des modélisations mathématiques.