Littérature étrangère

Larry Fondation

Sur les nerfs

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photo libraire

Chronique de Renaud Junillon

Librairie Lucioles (Vienne)

Dans notre monde où l’image est omniprésente et le paraître l’unique norme, Los Angeles et Hollywood, sa « machine à rêves », apparaissent comme les incarnations ultimes de ce qui caractérise désormais le monde : le spectacle. Il existe toutefois des coulisses moins reluisantes…

L’amateur de roman noir et de littérature policière avait déjà été confronté à l’envers du décor, côtoyant alors les forces du mal à l’œuvre dans cette prétendue « Cité des Anges ». Comment ne pas évoquer Raymond Chandler ou James Ellroy, Charles Bukowski ou John Fante ? Son fils, Dan Fante, avec un cynisme mordant, parle d’ailleurs de ce lieu sans la moindre illusion : « Si New York est le nez et les yeux de l’Amérique, alors Los Angeles en est les parties génitales. » Larry Fondation ajoute une pierre à l’édifice littéraire de démystification de cette ville-icône, en livrant à la postérité un court roman d’une violence et d’une force rares. Il mène et malmène le lecteur au cœur d’une jungle urbaine où l’on squatte des immeubles insalubres, où l’on tente de noyer son malheur dans le mauvais alcool et des substances de qualité douteuse, où le sexe est à jamais déshumanisé sur fond de ruines, où la violence semble agir comme l’unique lien possible d’un tissu social en lambeaux, où l’ennui rythme à sa manière une vie dont il faut malgré tout attendre qu’elle s’écoule. Les quartiers déshérités et les marginaux qui les peuplent, Larry Fondation les connaît bien : il travaille comme médiateur de quartier à Compton, au sud de Los Angeles. Son livre prend une dimension encore plus inquiétante quand on prend conscience que les histoires qu’il écrit sont sans doute directement inspirées de son expérience sur le terrain. Il y a chez cet auteur la volonté farouche de décrire une réalité quotidienne qui ne relève pas du hasard, mais résulte de décisions politiques, d’un idéal qui a pour nom capitalisme. L’auteur donne la parole à ceux qui en sont dépourvus et débusque, à la manière d’un Hubert Selby Jr, l’humanité là où elle semble avoir déserté. Il ne s’agit cependant pas d’un simple récit témoignant de son expérience de la rue, car Larry Fondation effectue un véritable travail sur la langue, explorant des voies narratives radicales dans une recherche formelle qui parvient à rendre de manière saisissante le parcours chaotique et violent de ses personnages. Chez Larry Fondation, l’ellipse est systématique : on ne sait d’où vient le personnage, ni où il va. Les causes et les conséquences de ses actions sont souvent laissées à la libre interprétation du lecteur. Sur les nerfs se compose de textes courts, parfois quelques lignes, qui sont d’autant plus percutants qu’ils agissent comme des instantanés dont la succession forme une communauté cohérente et hantée par « le long silence des cœurs vidés ».