Polar

Marco Malvaldi

Le Mystère de Roccapendente

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photo libraire

Chronique de Renaud Junillon

Librairie Lucioles (Vienne)

Empruntant aux aspects du roman policier historique classique, Le Mystère de Roccapendente se révèle un livre astucieux et critique sur l’Italie de 1895, réunifiée depuis peu. Et prend pour héros Pellegrino Artusi, auteur réel du premier livre de cuisine à regrouper des recettes de toutes les régions de la Péninsule, symbole fondateur de la tradition gastronomique italienne. 


Pour filer la métaphore culinaire, nous pourrions dire que ce roman policier est absolument savoureux, saupoudré d’une bonne dose d’humour et qu’après cette mise en bouche, notre appétit aiguisé, nous attendons avec gourmandise les prochaines traductions de ce jeune auteur italien, tant ce Mystère de Roccapendente se déguste avec malice. En effet, Marco Malvaldi maîtrise à la perfection les règles et les codes du roman à énigme et s’amuse à glisser références littéraires et clins d’œil, autorisant même son narrateur à s’adresser directement aux lecteurs ! À la manière des intrigues policières d’Agatha Christie, de Conan Doyle, de John Dickson Carr ou de Gaston Leroux, l’intrigue se déroule en un huis clos oppressant au château du Baron de Roccapendente, le temps d’un week-end, où auront lieu un meurtre ainsi qu’une tentative d’assassinat.


Le lecteur est ainsi confronté à un meurtre en chambre close – Teodoro le majordome est retrouvé empoisonné dans un lieu fermé de l’intérieur – et, dès le lendemain, on tire au fusil de chasse sur Monsieur le Baron. Suivent alors les interrogatoires de chacun des pensionnaires-suspects : de la domesticité aux nobles membres de la famille du Baron – une mère aussi autoritaire qu’impotente, des fils stupides et fats, une fille qui refuse sa condition, des cousines vieilles filles. La solution de l’énigme est révélée dans le classique dénouement où tout ce petit monde est convoqué dans le salon par l’inspecteur qui révèlera le mobile et l’identité du coupable au cours d’une ultime confrontation. Observation, déduction, « éliminer l’impossible. Ce qui reste, quoique improbable, doit forcément être la vérité. » Mais un vent de folie se lève dès que pointent les moustaches du personnage truculent qu’est Pellegrino Artusi. Ce héros débonnaire, curieux et gourmand, amateur de roman policier, va déjouer tous les faux-semblants et lever le mystère. Personnage réel, figure historique, Pellegrino Artusi, sorte de Brillat-Savarin, publie en 1891 La Science en cuisine et l’art de bien manger, premier livre de cuisine où apparaissent les recettes collectées dans différentes régions de l’Italie. Cet ouvrage – dont certaines recettes sont d’ailleurs présentées en fin de livre – tient une place importante dans l’histoire du pays et dans la construction de l’identité nationale italienne. Car la thématique du livre de Marco Malvaldi est bien là : en situant son intrigue au sein d’une famille de nobles en plein déclin quelques années après le Risorgimento, il s’interroge avec une ironie mordante sur les changements en cours au cœur de la société, sur les forces en présence et sur l’évolution possible pour garder une cohérence, une justice, une unité sociale. Les idées politiques républicaines, les revendications d’émancipation des femmes ont peine à se faire entendre dans cette famille en déliquescence, accrochée à ses privilèges, où la figure paternelle réactionnaire reste toute-puissante. Des interrogations sur l’Italie d’hier qui restent d’une étonnante actualité dans l’Italie post-Berlusconi.